La préparation de ce premier objectif de ma saison 2025 ne fut pas des plus sereines. Il y a d’abord eu cet arrêt au stand imprévu de deux mois qui a fortement perturbé ma préparation. Deux mois sans vélo, c’est rattrapable lorsque l’on est en début d’hiver, mais lorsque cela arrive de février à mars inclus, c’est plus compliqué pour un départ en mai. J’ai même été contraint d’annuler ma participation au stage en Espagne, qui me permet depuis trois ans de lancer ma saison montagne.
Est arrivé ensuite l’accident du 10 mai, soit neuf jours avant de m’élancer depuis Strasbourg. Alors que je clos le dernier jour de ma semaine bornage par un dodécaudax. Je suis renversé par un automobiliste. Ce dernier garé en marche avant et perpendiculairement à la route et derrière un abri bus, décide de sortir de son stationnement en marche arrière alors que je passe derrière son véhicule. Le choc assez violent m’envoie au sol. Pensant que son escabeau s’est renversé à l’arrière de son utilitaire, l’automobiliste reprend sa manœuvre, alors que je suis encore au sol. Il me faudra hurler, pour qu’il comprenne que le bruit entendu n’est pas lié à la chute de son escabeau et qu’il va me rouler dessus. Physiquement, je m’en sors avec de beaux hématomes. Mais c’est le vélo qui a subit les plus gros dégâts : Roue avant abrasée et délaminée côté gauche au niveau de la piste de freinage sous l’effet du redémarrage, cintre cassé côté droit sous l’effet du choc initial. La semaine qui a suivi a été particulièrement bouleversée. Trouver une roue avant et un cintre en urgence fut un parcours du combattant. Il m’a fallu ensuite tout remonter, régler, tester. Auquel il faut rajouter toutes les démarches administratives pour l’assurance.





Strasbourg – Hendaye cap au Sud-Ouest
Le parcours est assez simple. Je devais descendre plein sud jusqu’à hauteur de Mulhouse, puis cap au Sud-Ouest jusqu’à Hendaye. Un beau voyage de 1132 kilomètres. Officiellement, je disposais de 4 jours et 3 heures pour rejoindre Hendaye. Ainsi, en quittant Strasbourg le 19 mai à 4 h 00, je devrais être à Hendaye avant le 23 mai à 7 h 00. Ce qui impose des étapes quotidiennes autour de trois-cents kilomètres.
Etape 1 : Strasbourg (67) – Seurre (21)
Cette étape de 316,51 kilomètres était la plus longue de cette première diagonale. Pour respecter le règlement des diagonales de France, cette étape comprendra trois pointages de mon carnet de route : Le premier à Guewenheim au kilomètre 116, le second à Devecey au kilomètre 226 et enfin le dernier à l’arrivée sur Seurre au kilomètre 316. Ces pointages me permettront de me ravitailler en cours de route.

Côté profil du parcours, celui-ci débute en léger faux-plat montant sur un peu plus de cent kilomètres, pour ensuite devenir beaucoup plus vallonné. Initialement, le dénivelé positif est annoncé par l’application Garmin Connect à 1541 mètres. Je vais l’apprendre à mes dépens, cette valeur est sous-estimée de 58 %.

Il est 3 h 50 lorsque je me présente devant le commissariat de Police de Strasbourg, où le règlement m’impose de faire tamponner mon carnet de route. La nuit a été bonne. Un autre concurrent s’élance également sur cette même diagonale. Je le retrouve en présence de Jocelyne, sariste Strasbourgeoise. Notre Madone tellement elle est aux petits soins pour nous. Après un bref échange, Christophe s’élance accompagné de Jocelyne. Je partirais pour prés de 15 minutes plus tard. Nous aurions pu rouler de concert avec Christophe, cependant ma rétinite pigmentaire ne me permet plus de rouler en groupe de nuit. Je suis, en effet, sérieusement ébloui par les feux arrières des collègues. De même en cas d’éblouissement par un véhicule arrivant en face, je peux être amené à m’arrêter brutalement, sans prévenir, le temps que le véhicule passe. Aussi, de nuit, je m’impose de rouler seul pour ne pas avoir à gérer mes soucis et le positionnement des collègues pour éviter de les faire tomber et de tomber par la même occasion.
C’est donc seul que je m’élance à 4 h 10. Le réseau de pistes cyclables Strasbourgeois et alsacien est conséquent. Ainsi, les cinquante-six premiers kilomètres de cette première étape sont parcourus sur de belles pistes, notamment le long de l’ancien canal du Rhône au Rhin. Il y a bien quelques pièges lors des changements de rives ou de directions, mais rien de bien compliqué. Cette mise en jambes est des plus agréables. Petit à petit, le soleil se lève. Les paysages prennent une teinte orangée. Partout, la vie sauvage s’éveille. Je progresse avec le chant des oiseaux. Quelques cygnes glissent sur le canal à la recherche de quelques nourritures. Plus loin, un héron s’envole dérangé par mon passage. Au loin sur ma droite, les Vosges offrent une belle vue et forme comme un cocon protecteur à la Plaine d’Alsace.


À hauteur d’Artzenheim, je quitte la piste cyclable pour la D 468. Et roule toujours en direction du Sud. En ce tout, début de matinée, la circulation n’est pas des plus soutenues malgré les départs au travail. Premier constat, les automobilistes alsaciens, sont bien plus respectueux que les automobilistes franciliens.
La plaine d’Alsace mérite bien son nom. Ici, tout est plat à perte de vue. Par chance, le vent encore faible, est favorable. Dans le cas contraire, comme dans ma Brie, je serais exposé en permanence aux assauts du vent. Au loin sur ma gauche, je distingue le massif de la Forêt-Noire qui joue de contraste avec le soleil qui s’élève. La température s’élève peu à peu.

Il est 7 h 00, lorsque j’arrive sur Neuf-Brisach. Je bifurque alors vers le Sud-ouest pour passer au Nord-Ouest de Mulhouse. Les villages défilent et la circulation s’intensifie.
À partir d’Ensisheim, je quitte la plaine d’Alsace. La route s’élève progressivement.
Premier pointage à Guewenheim. Il est 9 h 30 lorsque j’arrive sur la boulangerie pâtisserie Feuerstein rue de Thann. C’est l’odeur du pain qui attire mon attention. J’opte pour un sandwich et un ravitaillement en eau. Je décide de ne pas me charger en achetant plus que de besoin. Je ne le sais pas encore, mais j’aurais dû faire des réserves. Et voilà, un deuxième coup de tampon sur mon carnet de route. Je prends le temps de savourer mon sandwich assis en terrasse au soleil avant de repartir. J’échange quelques mots avec des clients attirés par mon vélo et ses sacoches.

Rapidement, la première montée arrive. Avec elle, je franchis la limite départementale entre le Haut-Rhin et le Territoire de Belfort. Passer la Chapelle-de-Rougemont, je traverse les quartiers Nord de Belfort. J’aurais pu passer plus au centre pour voir le Lion de Belfort, mais les grosses agglomérations nous ralentissent considérablement.
À Châlonvillars, j’entre en Haute-Saône. Les montées s’enchaînent. Avec l’effort et la chaleur qui monte les bidons se vident et la faim se fait plus pressante. Malheureusement, j’ai commis l’erreur de me focaliser sur la fermeture des commerces le dimanche en Alsace, pour programmer mon départ. Sauf que les commerces de Franche-Comté sont, eux, fermés le lundi. À Abbenans, j’entre dans le Doubs. Les paysages changent peu. Ils se caractérisent par un enchaînement de pâturages et de forêts. Les montbéliardes qui paissent, lèvent parfois la tête pour me regarder passer. À la mi-journée, ma progression se transforme assez vite en chasse à l’eau et à la nourriture. Par chance, je trouve enfin une fontaine où l’inscription eau non-potable n’apparaît pas. Par expérience, je sais que l’eau des fontaines peut être source de problèmes gastriques. Cependant, les plus de trente degrés m’imposent de boire et comme les cimetières se dérobent à ma vue tout au long du parcours, je n’ai pas le choix. Je fais donc le plein et avalant deux pâtes de fruits à défaut de commerce.
J’arrive à Devecey à 15 h 30. Je peux enfin ravitailler au magasin Super U de la commune. Une fois encore mes bidons sont presque vides. Il me reste encore prés de 90 kilomètres à parcourir. Je décide donc de faire quelques emplettes pour le repas du soir et le petit-déjeuner du lendemain, car je risque d’arriver après la fermeture des magasins de Seurre. D’autant que le vent est maintenant défavorable et qu’il a tendance à forcir. Je repars donc l’estomac rassasié et les bidons pleins avec un peu de poids supplémentaire.

Une trentaine de kilomètres plus loin, entre Mercey-le-Grand et Romain, j’entre dans le Jura. Dôle approche. Je ne pouvais faire autrement que de passer dans son agglomération. La circulation s’intensifie en cette fin d’après-midi. Un peu avant Dôle, à Rochefort-sur-Nenon, je réalise un dernier arrêt pour acheter du pain pour le repas du soir. La traverser de Dôle ne fut pas compliqué.
Passé Saint-Aubin au kilomètre 303, j’entre en Côte-d’Or. Il est 20 h 33 lorsque j’arrive avec les premières gouttes de pluie à Seurre. J’ai parcouru 317 kilomètres d’effort et franchi 2447 mètres de dénivelé positif.

Etape 2 : Seurre (21) – Aubusson (23)
Cette deuxième étape s’annonce compliquée, car des orages sont annoncés pour l’après-midi, alors que la majorité des difficultés se situent au-delà du 152e kilomètre, soit approximativement à la moitié de l’étape. Au cours de ma journée, je vais visiter trois régions : La Région Bourgogne – Franche-Comté, la Région Aquitaine en passant pas la Région Auvergne-Rhône-Alpes que je traverserai par le Nord. Je retrouverai sur ma route, Saint-Pourçain-sur-Sioule que j’ai déjà traversé sur ma dernière diagonale Dunkerque Perpignan. J’espère que j’aurais moins de souci que lors de mon dernier passage où j’avais perdu mes dérailleurs.
Trois pointages sont prévus pour mon carnet de route : le premier Pointage interviendra à Digoin au kilomètre 125, le second aura lieu à Saint-Éloy-les-Mines kilomètre 233 dans les Combrailles et enfin le dernier à Aubusson ville d’arrivée de l’étape.


Dès la sortie de Seurre et mon arrivée dans la campagne environnante, je dois faire avec des nappes de brume et parfois assez denses qui m’obligent à éteindre ma frontale pour éviter d’être rendu aveugle par le mur blanc lié à la réflexion de la lumière sur les gouttes d’eau en suspension.

Alors que le soleil se lève dans mon dos, les nuages prennent une teinte rosée et semblent vouloir se disloquer progressivement. Je pense alors pouvoir échapper à la pluie au moins cette matinée et profite de cette belle vue de la campagne bourguignonne.
Les jambes semblent bien tourner. Je ne ressens pas de fatigue excessive malgré la courte nuit.
Entre les villages de Chivres et Ecuelles, je quitte la Côte-d’Or pour La Saône-et-Loire. La Bourgogne est magnifique. En ces heures matinales, la campagne est paisible. À Chagny, je tricote un peu pour trouver l’accès à l’EuroVélo 6 qui longe le Canal du Centre. Après quelques détours et retours, je trouve enfin le passage. Je vais emprunter cette EuroVélo 6 jusqu’à Blanzy, soit plus de quarante kilomètres de voies vertes à l’abri de la circulation automobile. Mis à part un petit intermède sur la commune de Remigny où je dois sortir, dévié par un chantier de réfection du Pont de la D 109.

Lors de ma progression sur l’EuroVélo 6 à deux reprises le franchissement de rues ou départementales s’est avéré compliqué avec un vélo chargé. Il s’agit de rampes très pentues se terminant brutalement au sommet d’une entrée de pont par un stop en dénivelé à quelques centimètres de la route. Par deux fois, une douleur est apparue au niveau de la face externe de la cheville droite et sous la malléole notamment lors de la phase de déchaussage de la pédale pour marquer le stop.
Dès Blanzy, le profil du parcours commence à devenir plutôt ascensionnel. Avec une première montée qui me mène à Sanvignes-les-Mines et sa belle église Saint-Symphorien avec le Morvan au loin en arrière-plan.


Dès le milieu de matinée, le soleil s’est bien installé. Le vent contraire sous forme de brise semble forcir petit à petit, certainement, sous l’effet de la température, qui monte progressivement. Le ciel est presque dégagé si ce ne sont quelques nuages résiduels à l’horizon. Les villages traversés sont calmes, presque désertés de leurs habitants. Même les petites routes demeurent abandonnées. Pas une voiture pour troubler le chant des oiseaux. Y rouler est un régal !




J’arrive à Digoin vers 11 h 35. Tous les commerces que j’avais identifiés pour faire tamponner mon carnet de route sont définitivement fermés. Bon nombres de commerces semblent d’ailleurs avoir baissé définitivement le rideau. Par chance, je trouve un charcutier traiteur ouvert ainsi qu’une boulangerie. Chez le premier, j’arrive à me ravitailler pour la pause-déjeuner. Chez le second, je tombe sur une commerçante mal aimable, qui refuse la carte bleue avec véhémence, mais qui n’a pas de monnaie à rendre sur un billet de vingt euros. Elle finit par prendre ma carte bleue, non sans se plaindre. Par chance, j’ai pu faire tamponner mon carnet chez le traiteur, car je crois que la boulangère aurait refusé vu son amabilité. Je trouve un banc pour dévorer mon déjeuner avec empressement tout en appelant Nathalie pour un point quotidien. Au loin, le ciel prend une teinte qui ne me dit rien qui vaille.
Effectivement, à Chassenard, alors que j’entre dans le département de l’Allier, je prends le premier orage. Malheureusement, la météo ne s’est pas trompée. L’orage me tourne autour ou se met en travers de ma route sur plusieurs dizaines de kilomètres. Avec la chaleur, je passe plusieurs heures à mettre, puis enlever ma veste de pluie. Le vent contraire se renforce, pour devenir presque tempétueux sous les grains orageux. Le pire arrive à la sortie de Saint-Pourçain-sur-Sioule en direction de Chantelle. Là, c’est un violent orage qui éclate avec des bourrasques qui rendent le pilotage compliqué et un véritable déluge qui s’abat sur la zone. À ma surprise, un jeune homme a décidé de me venir en aide. Alors qu’il me croise, il s’arrête ouvre sa vitre et me crie quelque chose. Alors que je continue ma route sous le déluge et le tonnerre, il fait demi-tour et se porte à ma hauteur en ouvrant ce coup-ci sa vitre passager en me demandant si j’ai besoin d’aide. Je m’arrête alors sur un parking sur le bas-côté pour lui expliquer que je ne peux pas, car je suis sur une organisation où l’assistance est interdite. Je n’ai pas le temps de parler qu’il est déjà sorti de son véhicule en tee-shirt sous le déluge. Alors que je ne lui demande rien, il propose de me déposer où je le souhaite. Il semble surpris par ma réponse négative. L’humanité existe encore dans notre beau pays. J’ai même ressenti comme un sentiment de culpabilité en refusant son aide si généreuse. Si ce jeune homme n’est pas encore sapeur-pompier, il faut le recruter, car il a toutes les qualités du sauveteur et notamment le don de soi au service des autres.


Un peu avant Chantelle, je fais un arrêt dans un abri bus pour m’équiper un peu plus et notamment revêtir ma casquette de pluie et nettoyer mes lunettes. Peu à peu, l’orage se calme. Le tonnerre résonne encore au loin. Mais le ciel semble se dégager devant moi. Le vent faiblit enfin et n’est plus tempétueux, même s’il reste assez fort et contraire.
À Bellenaves, je décide de ravitailler, car je pense arriver trop tard à Saint-Éloy-les-Mines pour le faire. Or, je dois impérativement prévoir mon alimentation du soir et du petit-déjeuner. Le vent contraire, l’orage et la douleur de plus en plus présente à la cheville droite me ralentissent beaucoup. De fait, je suis très en retard sur ma feuille de route. La petite épicerie du village est bondée. Les clients qui se connaissent bien, blaguent entre eux et avec la commerçante. Mon chronomètre continu de tourner. Je trépigne presque, car il faut que je reparte. D’autant que le plus gros des difficultés est encore devant moi. Je repars enfin en montée. La cheville est de plus en plus douloureuse. Je quitte l’Allier pour le Puy-de-Dôme à Servant un peu avant le deuxième pointage du jour.
Après de longues montées, j’atteins enfin Saint-Éloy-les-Mines à 20 h 04. Comme je l’ai anticipé, les magasins sont fermés. Je m’arrête donc pour une photo sous le panneau d’entrée de ville. Vu l’heure, j’optimise mon arrêt et avale les sandwichs achetés à l’épicerie, avant de repartir pour Aubusson.

Après Le Pionsat et en pleine montée à l’approche du carrefour entre le D 525 et la D 517, mon GPS s’éteint brutalement. Mon câble de charge étant branché sur l’appareil et la Power Bank pleine, ce n’est pas un problème de charge. Nouvel arrêt, j’essaye de le redémarrer. C’est laborieux. Il repart. Il est chargé à 100 %. Je retrouve le parcours et les données. Cependant, un cadre rouge s’affiche avec un petit fanion à damier rouge. Lorsque je clique dessus, il me propose d’enregistrer la sortie. Je refuse et je repars en me disant que je verrais cela plus tard. Le principal, c’est que l’appareil soit de nouveau opérationnel et notamment le guidage. Les montées reprennent. Après quelques dizaines de kilomètres, je constate que les valeurs du dénivelé gravi n’évoluent pas sur mon compteur. Il en de même de la distance. Il y a un souci. En fait, le compteur n’enregistre plus les nouvelles données métriques depuis son plantage. Nouvel arrêt peu après Auzances. Je trouve enfin la raison du problème. Lorsque je clique sur le fanion et que je vais sur la roue crantée, il m’est proposé plusieurs options, dont « Reprendre ». Je repars rassuré, mais de toute évidence, il va me manquer des valeurs dans l’enregistrement final.
La nuit tombe peu à peu. Petit à petit, les villages s’endorment, les foyers s’éteignent. Je progresse seul dans un monde sans bruit. Il y a bien longtemps que je ne me suis pas retrouvé à rouler par une nuit noire, sur des routes accidentées et sinueuses. Si certaines disposent de bande blanche centrale, ce n’est pas le cas de toutes. Je constate alors qu’il m’est beaucoup plus compliqué de trouver mes trajectoires, car avec la perte de ma vision nocturne liée à ma rétinite pigmentaire tout est noir en dehors des faisceaux d’éclairage de ma lampe et de ma frontale à pleine puissance. J’essaye de balayer les bas-côtés pour éviter les collisions avec la faune sauvage et une sortie de route. Cette situation est nouvelle pour moi. Je savais que rouler en groupe de nuit m’était devenu difficile. Mais là, je découvre que seul sur ces petites routes cela le devient aussi. Par moments, une multitude de billes blanchâtres me fixent accompagnées de bêlements. C’est comme-ci les moutons se parlaient entre eux. Les uns rassurants les autres, ou bien alertant les autres. Plus tard, c’est un chevreuil qui me fait des siennes. Surpris, il traverse la route vers la gauche, puis subitement vire à 180° pour retraverser à quelques mètres devant moi et s’enfuir dans les fourrés à droite.
Ma difficulté, à identifier mes trajectoires m’impose de rester concentré à 100 % en contrôlant ma vitesse. Dans les descentes, je freine beaucoup plus pour ne pas prendre trop de vitesse. Cela est bien loin du plaisir que j’éprouve habituellement lorsque la pente devient négative. Impossible de me lâcher, je reste sur le qui-vive en permanence. Et si ma vitesse d’ascension assez lente, du fait du poids du vélo et de la douleur à la cheville qui monte crescendo, je ne peux pas reprendre du temps dans les descentes. Aussi, plus j’avance et plus l’heure d’arrivée recule. Je commence à m’interroger pour la suite.
Il est presque plus de minuit et demi lorsque j’aborde la dernière montée avant Aubusson. Tout à gauche, pour soulager ma cheville. Il me faut près de quarante-cinq minutes pour gravir un peu plus de quatre kilomètres d’ascension à 4 % de pente moyenne. Je suis inquiet !
J’atteins enfin mon point de chute pour la nuit à 01 h 28. Le temps de décharger mes sacoches pour la nuit, de prendre possession des lieux, je m’autorise une bonne douche. Aussi, il est plus de deux heures du matin lorsque je peux enfin me coucher. La nuit est courte, mon réveil sonne à 3 h 30 pour un départ pour à 04 h 30 au plus tard.
Cependant, dès que je pose les pieds au sol, je constate que ma cheville est toujours douloureuse et bien plus que la veille. Je fais un point rapide. Je consulte la météo, le profil de la troisième étape, etc. Cette dernière est encore plus exigeante que celle de la veille. Les difficultés reprennent dès les premiers kilomètres et en plus grand nombre. Le vent est annoncé contraire sur la totalité des 295 kilomètres du parcours. Après quelques minutes à peser le pour et le contre, je décide de m’arrêter là. Avec la douleur qui augmente crescendo jusqu’à devenir déraisonnable, la vitesse qui s’effondre, et donc la durée des étapes qui s’accroît au détriment du sommeil, il ne me parait pas raisonnable de repartir sur une nouvelle journée encore plus exigeante que la veille. Repartir s’est prendre le risque d’aggraver ma blessure et de devoir abandonner en cours d’étape, loin de toute structure de transport. Aubusson m’offrant un accès au train.
Le bilan :
En corrigeant la distance de la deuxième étape de la distance initiale, j’ai parcouru plus de 620 kilomètres en deux jours et franchis plus de 5 759 mètres de dénivelé positif. Sur cette demi-diagonale, j’ai parcouru 620 kilomètres en 30 h 13 et en mode bikepacking sans assistance. Ce qui est assez proche de ce que je faisais sur les épreuves Race Across lorsque je parcourais 500 kilomètres en vingt-six heures. Mais surtout, je retiendrais de cette moitié de diagonale les magnifiques paysages d’Alsace, du Doubs, de la Bourgogne, du Massif central, de la Région Aquitaine… La beauté de la France n’est pas usurpée, nul besoin d’aller à l’autre bout du monde pour voir de beaux patrimoines naturels, architecturaux. Il suffit juste de prendre un vélo et de partir sur les petites routes départementales.
Y aller ou ne pas y aller ?
Tant de péripéties avant de m’élancer, ne pouvaient que générer des interrogations. L’inverse serait de l’inconscience. Je me suis effectivement interrogé. Les contraintes reposaient avant tout sur les réservations, car oui tout était réservé du billet de train avec vélo monté pour rejoindre Strasbourg, jusqu’aux nuitées pour les deux diagonales. Reporter, m’aurait contraint de partir en juillet ou en août lorsque les places de TGV avec vélo monté sont prises d’assaut et pour la plupart étaient déjà vendues pour la période estivale. Reporter, c’était aussi perdre une partie des sommes engagées dans les réservations. Et retrouver en pleine période estivale des logements pour mes nuitées s’annonçait également compliqué et certainement beaucoup plus coûteux. Côté plaisir, remettre au mois de juillet ou d’août, c’était le faire sur des routes plus chargées. Et ne pas partir cette année aurait certainement généré, chez moi, des regrets. Mon caractère optimiste a pris le dessus. J’ai donc relevé le défi de partir avec une préparation qui n’était pas optimale et quelques contusions. Je ne regrette ni mon choix, ni l’abandon. J’assume pleinement ! J’ai essayé, j’ai encore appris, j’ai aussi profité.
Ma tendinite
L’absence d’optimisation de ma préparation, a certainement contribué à ce qui ressemble à une tendinite des fibulaires du pied-droit. J’attends la confirmation médicale du diagnostic. Mais il y a aussi, le traitement qui m’a été prescrit lors de mon arrêt de deux mois, car l’un des médicaments avait comme effet indésirable, un risque possible d’atteintes des tendons jusqu’à plusieurs mois après les traitements. Il est d’ailleurs, selon mon médecin, contre-indiqué d’en prescrire plus d’une fois tous les six mois.
Concernant la longueur des étapes et donc l’intensité, sur les diagonales le calcul est simple : 1132 km à parcourir en quatre jours et trois heures, cela donne effectivement des étapes autour de trois-cents kilomètres. Si l’on vise une homologation de la diagonale, nous sommes contraints à ses longueurs d’étape. Et effectivement, je visais l’homologation !
Pilotage de nuit
L’impact de ma rétinite pigmentaire sur ma pratique évolue. J’ai déjà arrêté, de moi-même, de conduire une voiture la nuit. De même, j’ai définitivement abandonné les roulages en groupe de nuit que je trouve trop risqués. J’ai également, pour les mêmes raisons, abandonné les nuits en bivouac. Je vais dorénavant abandonner tout simplement la possibilité de rouler longuement la nuit. Si rouler une demi-heure à une heure avant l’aube ou après le crépuscule est encore possible, le faire sur de longues heures en pleine nuit devient plus compliqué et sans saveur. D’autant qu’avec la fatigue le risque s’accroît. Je dois donc prendre en compte ma pathologie pour continuer à profiter, à m’évader sans m’exposer inconsidérément. Cela va m’imposer de facto à réduire la longueur des étapes quotidiennes qui tourneront plutôt autour de 200 à 250 kilomètres pour éviter les roulages de nuit. Ce qui veut dire que m’inscrire sur des diagonales va devenir beaucoup plus compliqué.
Mon GPS Garmin Edge 840 Solar
Contrairement aux versions 820 et 830, le Garmin Edge 840 Solar semble s’éteindre, dès lors que sa recharge arrive à 100 % de la capacité de la batterie. Cette option vise peut-être à préserver la capacité de la batterie. Depuis son achat, je n’avais jamais eu à recharger mon GPS en roulant. Jusque-là, j’ai toujours eu suffisamment de soleil pour que l’appareil tienne sur toutes mes étapes. Avec les orages de l’après-midi et le ciel couvert une partie de la matinée, le manque de soleil n’a pas permis de soulager la batterie. Par précaution, alors que la charge était à 40 %, j’ai pris la décision de le charger en roulant. De même, je ne connaissais pas la subtilité du menu offert par le drapeau à damier rouge lorsqu’il s’affiche. J’y veillerai un peu plus la prochaine fois. Ceci étant, je vais quand même essayer de confirmer mon diagnostic technique en me replaçant volontairement dans la même situation de recharge pour m’assurer que le souci est bien une coupure lorsque la recharge atteint les 100 %.
Conclusion
Il y aura sans aucun doute une suite. Toujours sur de la longue distance, car c’est là que je me sens le mieux. Que je profite le plus. Que je peux me recentrer et méditer. Que je peux remplir ma mémoire d’images, de lieux, d’anecdotes. Mais, je ne le ferai certainement plus sur des organisations chronométrées qui imposent de respecter des délais et donc de rallonger les journées lorsque surviennent des incidents qui nous ralentissent. Mes projets comme ceux de la Route Buissonnière ou du Tour de Seine-et-Marne répondent bien à mes nouvelles contraintes. Pourquoi pas, aussi de longs périples en étoile autour d’un point de chute pour explorer de nouveaux territoires en emmenant avec moi Nathalie qui pourra alors profiter et me retoruver le soir et même m’accompagner sur quelques kilomètres.
Remerciements :
Un grand merci à Jocelyne Hinzelin et Marc Jacquemont pour leur accueil strasbourgeois et cette belle soirée que nous avons passée ensemble la veille au soir autour d’un repas.
Un grand merci également à Pascal Bachelard pour la gestion des Diagonales de France.
Et un grand merci à Nathalie, mon épouse, qui me laisse partir sur ces belles aventures en solitaire.
Alain Poma
Super récit Éric courage pour la suite. Tu trouveras d’autres défis. Amicalement
Alain
admin
Merci Alain. Oui je vais effectivement trouver d’autres défis. Quitte à les construire de toutes pièces. Le vélo m’aide aussi à m’évader et à accepter ma rétinite pigmentaire. Amicalement Eric