Je ne peux pas me lancer le 24 juillet 2021 sur la Race Across France (RAF) sans réaliser quelques tests préalables dans les conditions similaires à l’épreuve. Je dois en effet, tester mes équipements de protection, mon nouveau cuissard Titan de la marque OZIO, ma nouvelle selle, mon éclairage, la configuration de mes sacoches de bikepacking, le poids de ma machine et plus encore mon autonomie électronique et alimentaire pour tenir plusieurs jours et à fortiori plusieurs heures… Mais je dois également juger la pertinence de ma préparation en testant ma condition physique sur un parcours suffisamment long pour être représentatif de ce que va être la RAF. Même si après mes deux blocs montagnes d’avril et de mai, je commence à avoir une petite idée.
Pour le parcours de ce test, l’option s’est vite révélée à moi ! En effet l’annulation des cyclosportives préparatoires et notamment la GranFondo Vosges et les Trois Ballons, m’incitait à justement rejoindre les Vosges pour aller me frotter à ses reliefs. Les réservations sur Luxeuil-les-Bains étant assez compliquées, nous nous sommes immédiatement projetés sur La Bresse et notamment la résidence la Belle Montagne à la Bresse-Honneck, lieu de départ traditionnel de la Granfondo Vosges. Pour un parcours de trois-cent-quatre-vingt-huit kilomètres pour plus de trois-mille mètres de dénivelée positive.
Le parcours relie Melun, Troyes, Chaumont et Remiremont en traversant une partie de la Seine-et-Marne, et les départements de L’Aube, de La Haute-Marne et des Vosges. Un beau parcours rectiligne et vallonné. Par souci de sécurité et en pleine semaine, j’ai volontairement choisi de m’écarter des grands axes de circulation, même si par moment, je suis obligé de suivre la très accidentogène D 619 (ex RN19) dans l’Aube et la Haute-Marne, notamment pour approcher et traverser Troyes et Chaumont.
Les conditions de réalisation de ce test sont assez simples : Mon vélo look est équipé comme il le sera pour l’épreuve de la Race Across France sur le parcours de 1100 kilomètres. Mon objectif est bien de mettre à l’épreuve l’ensemble du matériel et de tester la surcharge qui est actuellement de 4,3 kg sacoches comprises. La configuration initiale de ma machine pour ce test est la suivante :
- Sacoche de selle (7 litres) : matériel de réparation, matériel pour dormir et vêtements chauds de protection (doudoune, veste C7 Gore tex)
- Sacoche de cadre (4 litres) : compartiment principal : équipement de protection (manchettes, jambières, sur-chaussure, gants longs…), crèmes de protection et hydratantes, et batterie Anker PowerCore 26800 mAh. Poche latérale : piles, batterie réserve SRAM et téléphone, câbles de charge, téléphone, clefs
- Sacoche de tube supérieur (1 litre) : réserve de barres de céréale pour l’effort.
- Poste de pilotage : prolongateurs, compteur GPS Garmin Edge 830, lampe K-Lamp EXR 1100, et câbles d’alimentation GPS et lampe, lampe clignotante blanche pour le jour, lampe clignotante rouge (sur la sacoche de selle) et feux arrière rouge sur le tube de selle.
- Bidons (1,450 litres): la configuration en mode bikepacking et notamment la sacoche de cadre, rend compliquée la mise en place de bidons de 750 ml. Certains pratiquants choisissent des sacoches de guidons et ou des sacoches de selle beaucoup plus volumineuses, pour diminuer le volume de la sacoche de cadre, voir pour se passer d’une sacoche de cadre. Pour ma part, j’ai choisi de mettre le plus de poids possible sur le centre de gravité du vélo. Cette configuration devrait faciliter le pilotage dans les montées (absence balan de la sacoche de selle), comme dans les descentes avec l’absence de surcharge de la roue avant. Aussi, pour me rapprocher de fameux 1,5 litres d’eau minimum nécessaire sur le vélo, j’ai fait le chois de prendre un bidon de 650 ml à l’avant et de 800 ml à l’arrière avec des portes bidons à ouverture latérale. Dans cette configuration, j’ai résolu le souci d’intégration du bidon avant sous la sacoche de cadre.
Il est 4 h 43 lorsque je m’élance le jeudi 3 juin 2021. Il fait encore nuit. Le taux d’humidité après les orages et averses de la nuit est important. Par bonheur, il fait doux. J’en profite, car la journée s’annonce chaude avec un fort risque d’orage dans l’après-midi. Je mets à profit les conditions nocturnes pour tester mon éclairage. C’est stupéfiant d’efficacité, à la puissance minimale (220 lumens) la puissance du faisceau est suffisante sur le plat à une vitesse comprise entre 25 et 32 km/h. J’en distingue presque plus le faisceau de ma frontale. Il en sera donc tout autant en montée. Le faisceau produit à 50 % de puissance (550 lumens) sera largement suffisant pour la majeure partie des descentes. En sachant que les 1100 lumens de la pleine puissance me permettront de passer d’éventuels passages techniques en descente lorsque la vitesse s’envolera notamment par exemple dans la descente du col de Sarenne.
Je rejoins assez rapidement le Châtelet en Brie, les Ecrennes, Donnemarie-Dontilly. Tous ces villages sont encore endormis. Seul le chant de quelques coqs perce le silence de l’aube. Ce n’est qu’à partir de Bray-sur-Seine que je constate une nette augmentation de la circulation routière et le début de l’agitation urbaine. Mais par bonheur, je m’écarte rapidement des grands axes pour replonger dans la douceur et le calme de ce début de matinée. Je roule depuis deux heures et trente minute lorsque je quitte le département de Seine-et-Marne et entre dans celui de l’Aube. Le soleil s’est déjà élevé au-dessus de l’horizon, mais la brume matinale a occulté ses quelques minutes majestueuses ou l’horizon rougit des premiers rayons du soleil. Les levers comme les couchers de soleil sont des moments importants dans la pratique du cyclisme longue distance. Ils rythment nos journées. Point besoins de regarder notre montre, l’aube et le crépuscule sont toujours annoncés par ces quelques minutes de beauté matinale et vespérale lorsque l’horizon s’enflamme. Ce sont souvent des moments où nous en n’oublions nos douleurs liées à l’effort. Parfois, souvent même, nous nous arrêtons pour profiter du spectacle et immortaliser l’instant.
A Soligny-les-Etangs, je connais le premier bug du parcours. Alors que je me suis engagé dans la première véritable montée du parcours, j’arrive après six kilomètres au bout de la route, sur un chemin agricole. Mon GPS affiche « route sans revêtement ». On a beau contrôler, re contrôler, ce gendre de souci arrive régulièrement. Ce désagrément ne vient pas de l’application utilisée, ni même du GPS, mais bien de ceux qui nomment en routes ce qui ne sont que des chemins. Et malheureusement, c’est régulièrement le cas avec les bases de données comme « OpenStreetMap ». S’il faut faire avec, ce genre d’événements rallonge souvent les distances à parcourir et le temps de déplacement. En l’espèce, c’est près de douze kilomètres qui viennent se rajouter à mon parcours initial pour retrouver une trace praticable.
A partir de Martigny-le-Châtel, les villages s’égayent des écoliers qui rejoignent leurs écoles. Je redouble de vigilance à chaque traversée de villages pour éviter les portières qui s’ouvrent subrepticement, les parents pressés qui traverse téléphone coller à l’oreille. Pendant que les cours d’écoles se remplissent.
Passé la commune de « Le Pavillon-Sainte-Julie », j’arrive sur la D 619 qui annonce mon approche de Troyes. Le trafic en ce début de matinée est intense et les portions à deux fois deux voies n’arrangent rien à l’inconfort. Pas de coup de klaxon, mais le souffle des camions qui passent sur ma gauche me rappelle à chaque instant que je suis l’intrus du moment. Je n’ai pas d’échappatoire mis à part le bas-côté, qui parfois disparaît. J’avais gardé l’image de Troyes, comme étant une belle ville historique ! Elle l’est encore certainement, mais sa traversée à vélo en début de matinée est vraiment pénible. Un feu tricolore, tous les cinquante ou cent mètres, les voitures qui viennent vous serrer pour démarrer avant vous. Il existe des pistes cyclables, mais plutôt sur la sortie de ville. Dommage, car avec plus de pistes, la traversée de Troyes pourrait être plus agréable pour les cyclistes.
Par contre, je donne une mention particulière pour la « vélo voie des lacs » qui longe les lacs de la forêt d’Orient entre les communes de Saint-Juliens-les-Villas et Courteranges. Les paysages le long de la voie des lacs sont bucoliques. Quelques hérons s’envolent à mon passage. J’y sens un peu la fraîcheur des étendues d’eau et du canal ça fait du bien, car la chaleur commence à monter sérieusement. Et surtout, on retrouve un peu de sérénité et d’humanité après la traversée de Troyes. Là le salut d’un cycliste, plus loin le sourire amical d’un joggeur. Malheureusement, je retrouve la D 619 à Courteranges. Son trafic semble moins intense. Le flux des poids lourds diminue progressivement. À Vendeuvre-sur-Barse je la quitte de nouveau sans regret, je la retrouverais un peu avant Chaumont. Pour l’heure, je savoure le calme retrouvé. Vendeuvre-sur-Barse marque également le changement de profil du parcours. Auparavant exceptés, quelques côtes, le profil était assez plat. À partir de Vendeuvre, il va devenir beaucoup plus vallonné. Les côtes vont s’enchaîner. Les paysages changent aussi ! C’est la fin les grandes étendues agricoles à perte de vue. Devant moi, il y a maintenant beaucoup plus de collines, de vallons. L’élevage s’installe progressivement…
Première véritable pause restauration à Bligny. Un seul regret : il n’y a pas de commerce. J’avale donc mes deux œufs durs et une banane.
Un peu, avant d’arriver à Clairvaux, j’appelle Nathalie. Elle est sur la route pour la Bresse où je vais le retrouver ce soir. Elle sur l’A5, moi dans la campagne auboise, bientôt dans la Haute-Marne, nous convergeons à notre vitesse respective vers notre destination les Vosges et la Bresse.
Je connais un peu l’histoire de l’Abbayes de Clairvaux, qui a été transformée en prison, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’y passer. Je me devais d’y remédier. Le site est atypique, car cette ancienne abbaye cistercienne du 12e siècle, a été transformée en prison au 19e siècle par Napoléon et est encore aujourd’hui un établissement pénitencier : « la centrale de Clairvaux ». Aussi, lorsque l’on contourne l’abbaye en direction Longchamp-sur-Aujon les structures de retentions se révèlent au beau milieu de l’architecture religieuse.
Il est déjà plus de quinze heures lorsque j’arrive à Chaumont. Une nouvelle fois en empruntant la D 619. J’emprunte la direction Chaumont Nord. Après un long arrêt au cimetière de Chaumont, à la recherche en vain d’un robinet d’eau. Je repars bredouille ! Je ne suis pas encore assoiffé, mais je dois sécuriser. La température est maintenant particulièrement harassante avec 35 °C et s’hydrater devient une priorité. La longue ligne droite vers Biesles n’arrange rien. Pas d’ombre, du vent chaud de face, aucun point d’eau, ni même l’ombre d’un commerce. Je commence à me rationner pour tenir jusqu’à Biesles.
Lorsque j’ai tracé ce parcours, je ne le savais pas encore, mais je me suis engagé dans ce que l’on nomme aujourd’hui de façon péjorative « la diagonale du vide » et que les experts nomment désormais « la diagonale de faible densité » (Ndlr : de population). Elle part de la Meuse jusqu’au Landes. Elle se caractérise par des zones rurales désertifiées et abandonnées de tous commerces et commodités quotidiennes. Pour nous, cyclistes, s’y aventurer pour de longs périples, c’est à coup sûr y mener aussi une chasse à l’eau et à la nourriture. Lorsque l’on trouve des commerces, il faut que l’heure de passage corresponde aussi avec l’heure d’ouverture. A Biesles, je suis arrivé beaucoup trop tôt pour le magasin « Proxy Market » comme pour le bar du village ou la pizzeria. J’ai pu être dépanné en eau par un habitant du village, mais ma musette se vide et je n’arrive plus à avaler les barres énergétiques. Ma vitesse de progression diminue ostensiblement, la chasse au ravitaillement me ralentit et la succession de côtes puise dans mon organisme, sans que je puisse me ravitailler. L’eau claire des cimetières ne permet pas de compenser les pertes de minéraux générés par la sueur. Rapidement, les crampes apparaissent dès que la route s’élève.
Mon secours arrivera dans le petit village de Cuves où mon attention est attirée par une discussion au pied d’une camionnette. Il s’agit d’un boucher ambulant et d’un sympathique habitant. Après quelques emplettes salées et une belle grappe de raisin, je suis invité à venir me restaurer à l’ombre d’une tonnelle dans la propriété du villageois et de son épouse. Nous échangeons sur mon périple tout en me restaurant. Une bouteille de Salveta salvatrice m’est offert. Madame prend une photo de mon vélo. Le monsieur, sourcier de son état, m’explique que la commune n’est pas raccordée au réseau d’adduction d’eau et que deux sources alimentent deux cuves, et que je peux y faire le plein à la sortie du village. L’arrêt de trente-cinq minutes me ravigote. Après avoir échangé sur mon parcours restant, il s’avère que Remiremont est encore loin et le parcours accidenté. Je dois me faire à l’idée que je ne serais pas sur la Bresse avant le couvre-feu. Je repars ! Les jambes tournent de nouveau ! La moyenne repart à la hausse.
Les paysages vallonnés sont de toute beauté. Les vaches me regardent passer tranquillement. Parfois je chante pour faire passer le temps.
Nouvel arrêt à Martigny-les-Bains, pour un arrêt épicerie express ! Je peux enfin charger mes bidons en eau minérale pétillante et acheter des biscuits salés. Je repars rassuré, car j’ai maintenant de quoi tenir jusqu’à l’arrivée à une centaine de kilomètres. Passé Martigny-les-Bains et Dombret-le-Sec, je gravis, sans encombre, le col du Haut-de-Salin qui culmine à 408 m.
J’attends d’être passé sous les cent kilomètres pour appeler Nathalie pour lui annoncer que je ne serais pas sur La Bresse pour le couvre-feu d’autant que les difficultés vont crescendo. Mais je suis physiquement bien !
Le crépuscule s’annonce déjà, et la remontée sur Xertigny me semble longue, très longue. La longue distance, c’est aussi une école de la patience. On roule moins vite, il faut apprendre à gérer ! Je chante, je siffle, j’essaye d’oublier mon GPS et le kilométrage qui n’avance pas, pourtant la route défile. Tout est dans la tête ! Les derniers habitants encore dehors s’affairent, ici dans le jardin, ailleurs auprès de leurs bêtes. Certains me saluent, un autre me lance « ça grimpe hein ! » Et moi, je continue de pédaler.
J’atteins enfin Xertigny après plus de quinze heures trente d’effort. Remiremont n’est plus très loin. La pluie fait son apparition et avec la nuit la fraîcheur aussi ! Je voulais tester mon matériel, je n’en escomptais pas plus ! Je m’équipe de ma doudoune, des jambières et roule en direction de Remiremont. La traversée de la ville est assez paisible. Les restaurateurs remettent en état leurs terrasses qui ont fermé, il y a plus de quarante-cinq minutes.
À la sortie de Remiremont, alors que je roule maintenant en direction du col de Cheneau, un véhicule me fait des appels de phares et s’immobilise à ma hauteur. Lorsque la lumière intérieure s’allume, je distingue deux gendarmes. L’échange est plutôt cordial. Je leur explique ma situation et mon périple. Ils sont surtout inquiets pour moi en me précisant que la route vers la Bresse est encore longue avec plus de vingt kilomètres. Mais qu’est-ce que vingt kilomètres lorsque l’on vient d’en parcourir plus de trois-cents. Je les rassure, je suis bien équipé, je suis entraîné pour, et tout va bien ! Je leur explique que ce fut plus difficile dans l’après-midi avec le manque d’eau et de nourriture.
Je repars sans encombre, d’autant que Nathalie vient à ma rencontre à Vagney. Je décide de ne pas tenter le diable, les gendarmes de La Bresse seront peut-être moins conciliants, c’est donc avec regret que je mets pied à terre à vingt kilomètres de l’arrivée, l’essentiel est fait. J’ai pu tester mon matériel bien au-delà de ce que j’espérais. Ma forme physique est là, le mental aussi. J’aurais pu poursuivre, en montant à mon rythme les cols de la Croix Moinat et des Feignes, mais les délais d’arrivée allaient bien au-delà du couvre-feu.
Le bilan est plutôt favorable. Mon autonomie électronique, notamment l’éclairage, semble assurée pour une durée d’au moins trois jours sans devoir recharger la « Power Bank ». Et si je prends en compte la batterie livrée avec la lampe, je dois pouvoir tenir au moins quatre jours ou plutôt quatre nuits sans devoir recharger. Même, si je ne m’interdis pas de la faire dans les bases de vie ou lors de certains arrêts restauration.
La surcharge du vélo n’est pas un énorme handicap d’autant que cette surcharge correspond approximativement à mon actuelle perte de poids corporelle depuis fin février, soit un peu plus de quatre kilogrammes et alors que je n’ai pas encore débuté ma phase d’affûtage où j’escompte bien perdre encore un ou deux kilogrammes supplémentaires.
Côté configuration de mes sacoches de bikepacking, je pense devoir faire l’acquisition d’un « Food Pouch » qui permet de stocker la nourriture pour manger en roulant. Sur le parcours, j’ai dû glisser la grappe de raisin entre mon thorax et mon maillot « première peau » ce qui n’est pas génial, même si cela ne m’a pas forcément gêné pour rouler.
Pour les équipements de protection, je valide ma doudoune qui m’a apporté un confort certain lorsque la fraîcheur nocturne et la pluie se sont installées sur le parcours sans pour autant me faire monter en température. Et lorsque que je n’en ai pas besoin, elle tient vraiment peu de place dans la sacoche de selle et son poids, très léger, fait qu’on l’oublie vite.
Mon prochain test aura lieu dans le Jura, mais cela est une autre histoire…
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