Jeudi 16 juin 2022, nous voici parti pour Le Touquet-Paris-Plage. Dans deux jours, je vais m’élancer sur la cinquième édition de la Race Across France 2500 kilomètres. Fait marquant, après des mois de préparation, Nathalie m’accompagne pour le départ et sera présente à l’arrivée. Bien souvent, ses contraintes professionnelles lui imposent de vivre de loin de mes aventures, elle à enfin l’opportunité de vivre à mes côtés ces deux phases importantes de l’épreuve.
Nouvelle édition, nouvelle formule
Cette nouvelle édition est novatrice à plus d’un titre. D’une part, le sens du parcours est inversé. Nous partirons donc du Touquet-Paris-Plage pour rejoindre Mandelieu-la-Napoule. L’inversion du sens du parcours n’est pas forcément un avantage. Il rend même la course plus stratégique, car il va falloir gérer notre effort sur les premiers jours, pour ne pas arriver trop fatigué au pied des Alpes. D’autre part, et pour la première fois, nous ferons également une petite incursion en Bretagne via Saint-Malo. Le parcours passe ainsi de 2500 à 2622 kilomètres.
Enfin, plusieurs cols rejoignent la liste déjà étoffée des cols mythiques à gravir. Les cols du Glandon et du Grand Cucheron s’intègrent ainsi dans le parcours en créant un très bel enchaînement. Le dénivelé positif passe ainsi à plus de trente-sept mille mètres avec trente-neuf cols à franchir.
Lorsque je quitte la Seine-et-Marne, la météo annonce déjà des conditions qui ne seront pas des plus favorables avec de fortes chaleurs et des risques d’orages. Seul le vents de Nord-ouest devrait nous pousser dans la descente sur Avranches. Ensuite l’évolution est incertaine avec un risque de vent de face pour rejoindre Quelaines-Saint-Gault. La carte des températures annoncées pour le 18 juin 2022 parle d’elle-même. Dans les faits, on a relevé des records absolus de températures à Biarritz avec 42,9 °C et Tarbes avec 39,2 °C. De nombreux records mensuels de températures ont été battus : 40,5 °C à Bordeaux, 40,1 °C à Angers, 39,1 °C à Nantes, 39,0 °C à Blois, 37,9 °C à Orléans et 36,6 °C à Besançon. Partout la vague de chaleur sévit !
Globalement, je me sens prêt et déterminé ! Après ma participation à la Race Across Paris, j’ai pu valider un protocole me permettant de tenir au moins 24 heures sans dormir. De même, je sais pouvoir m’appuyer sur une liste éprouvée d’aliments pour mon ravitaillement. Pour mon hydratation, j’ai intégré dans mon GPS tous les points d’eau sur le parcours en prévision de notre passage dans la diagonale du vide. Je sais pouvoir tenir sur la distance et pouvoir passé les Alpes. Je suis déterminé à finir en me faisant plaisir !
Vendredi 17 juin les procédures de contrôle des vélos et du matériel obligatoire
Pour éviter les bouchons qui peuvent survenir dès le vendredi et récupérer de la fatigue du voyage, nous avons fait le choix de partir quelques jours avant le départ. Cette option devait également nous permettre de profiter un peu de la région avant de m’élancer.
La procédure de contrôle des vélos et du matériel obligatoire est une phase importante d’avant course. La liste du matériel obligatoire a fait beaucoup parler sur les réseaux sociaux. Avec les retours sur les Races Across Paris et Belgium, cette liste, s’est un peu allégée. Me concernant, elle ne m’a jamais posé de souci puisque je disposais déjà de la majeure partie du matériel imposé initialement, mis à part la deuxième couverture de survie. J’ai d’ailleurs conservé dans mes sacoches l’ensemble des matériels initialement imposé. Cette journée de vendredi s’est conclue par une sortie détente sur la Plage du Touquet. Pas une baignade proprement dite, mais plutôt un petit trempage de pieds pour nous rafraîchir, car il fait très chaud.
Deux autres membres de la Team Cyclosportissimo sont également inscrits sur le parcours de 2500 kilomètres. Il s’agit de Frédérick et de Cédric venu également en couple. Pour l’occasion, nous avons organisé un sympathique repas d’avant course. Ces retrouvailles des membres de la Team sont toujours des moments plaisants et conviviaux entre passionnés. Un quatrième membre est également inscrit sur le parcours de 1000 kilomètres. Malheureusement, nous ne croiserons jamais Paul qui finira au pied du podium.
Le Départ
La phase de départ débute par le briefing d’avant course. Celui-ci fut organisé sur le site du Palais des Sports Paul Olombel du Touquet. Arrivé une heure plus tôt, nous avons pu profiter de la fraîcheur de son parc ombragé dans les transats mis à notre disposition par l’organisation. Partout des concurrents s’affèrent sur les derniers préparatifs, d’autres discutent ou dorment. Nous attendons tous de nous élancer. Le briefing est assez court. Arnaud Manzanini nous rappelle quelques consignes et nous informe qu’en raison de la sécheresse dans le Sud de la France, bon nombre de fontaines seront fermées. De même, des phénomènes orageux sont prévus dès la première nuit. Il nous incite ainsi à être prudent et à ne pas prendre de risques inutiles. Seul élément favorable, le vent de Nord-ouest qui va nous accompagner dans notre traversée de la Normandie et qui devrait nous pousser.
Sitôt le briefing terminé, nous sommes invité à rejoindre la ligne de départ sur la plage du Touquet au niveau de la Place du Centenaire. Le déplacement en peloton est plutôt agréable. Sur place, la chaleur est harassante. Aucun abri ne nous est offert pour nous mettre à l’ombre.
Sur centre-trente inscrits, quatorze concurrents ne prennent pas le départ. Nous sommes donc cent-seize à nous élancer. Avec un départ, toutes les minutes, les délais de départ entre le premier et le dernier de la catégorie solo sans assistance seront approximativement de deux heures. Avec le dossard USS214, je m’élancerai à 19 h 23, soit 1 h 23 après le premier. Ce qui fait un long moment à attendre en plein soleil.
Par bonheur, l’accueil sur la place du Centenaire est plutôt chaleureux de la part des habitants et des visiteurs. Beaucoup viennent à notre contact pour échanger avec nous. Difficile de leur faire comprendre que nous sommes des sportifs ordinaires. Pour beaucoup rouler la nuit est déjà une aventure, alors rouler jour et nuit pendant plusieurs jours d’affilé pour franchir les 2600 kilomètres du parcours est un véritable exploit sportif. À plusieurs reprises, je dois expliquer la définition de la notion avec ou sans assistance, car ils pensent que le terme assistance signifie que certains concurrents ont un moteur.
Petit à petit, alors que les départs s’enchaînent, la foule grandis de part et d’autre des barrières Vauban et applaudie chaleureusement les partants. L’ambiance du départ est assez sympathique et tourne un peu à la fête…
Du Touquet-Paris-Plage à Avranches
5, 4, 3, 2, 1 top départ ! C’est parti, je quitte la rampe de départ ! Sortir de l’agglomération du Touquet fut assez agréable, même si sur certaines voies et surtout à l’approche d’Etaples la circulation routière, s’est intensifiée avec les retours de plage. Par bonheur, dès que j’ai viré à droite sur la départementale 940 en direction de Berck et Cucq, le flux automobile se réduit considérablement. J’entre progressivement dans la course, la pression du départ retombe, je suis bien…
La température est encore un peu élevée, même si le vent arrive par moment à nous rafraîchir un peu. Je profite de ces quelques instants secs, car nous ne pourrons certainement pas échapper aux orages annoncés par météo France.
Le profil jusqu’au Mont-Saint-Michel est assez simple relativement plat sur la baie de Somme jusqu’à Abbeville. C’est idéal pour notre échauffement ! Ensuite, la Normandie va nous offrir un bel enchaînement de montagnes russes jusqu’au Pont de Normandie que j’espère atteindre en fin de nuit. L’estuaire de la Seine m’offrira alors une vingtaine de kilomètres de plat pour récupérer avant de repartir ensuite dans des enchaînements de toboggans jusqu’à Avranches. La remontée vers Saint-Malo devrait s’aplatir un peu sur une cinquantaine de kilomètres ensuite, ce sera un faux plat montant de cent-cinquante kilomètres jusqu’à Quelaines-Saint-Gault sous la forme d’un enchaînement régulier et continu de coups de cul usants.
La descente vers la baie de Somme s’avère très agréable. Les températures redescendent pour devenir supportables. Nous laissons Berck sur notre droite et filons vers le département de la Somme que nous atteignons après Colline-Beaumont en Franchissant le fleuve Authie.
Dans un carrefour en descente, je suis rattrapé par le concurrent qui finira premier en mode solo sans assistance. Alors que je prend le temps de vérifier la direction à prendre et l’absence d’autre véhicule, lui passe à fond avec un cri qui ressemble à un avertissement pour me signaler son arrivée. Il semble avoir oublié que nous circulons sur des routes ouvertes et que nous ne sommes pas prioritaires vis à vis des voies qui arrivent sur notre droite, mais bon lui roule pour le podium et moi pour finir…
La nuit tombe petit à petit. Les concurrents du format avec assistance nous doublent un à un. Pour la catégorie sans assistances, les écarts se stabilisent.
En cette nuit du 18 au 19 juin, certaines communes ont anticipé la fête de la musique. Ainsi, l’ambiance dans certains villages est assez festive. Sur les Grandes-Ventes, nous sommes même stoppés par les gendarmes et dirigés sur une déviation, car la D 915 et donc le centre-ville sont bloqués pour les festivités.
Nos conditions de progression se dégradent. Le vent se renforce progressivement pour devenir tempétueux. Je me fais même surprendre par de fortes rafales qui nous prennent par la droite. Dans une descente, je manque même de chuter surpris par une très forte rafale latérale. Au loin, l’orage tonne. Les éclairs illuminent le ciel. L’orage se rapproche puis nous arrive dessus sous forme d’une grosse averse orageuse. Pendant quelques secondes, je me mets à l’abri d’un mur d’un bâtiment à étages sur ma droite. Mais l’abri est précaire. Pas simple de m’habiller en restant le plus sec possible. Deux-cents mètres devant moi se trouve un abri bus. Je quitte mon mur salvateur pour un abri plus sûr. À l’intérieur, c’est plutôt la crise du logement ! Trois concurrents et leurs vélos s’y serrent déjà ! Je fais le quatrième… Le temps de m’équiper, l’averse orageuse se transforme en une pluie. Je repars. La descente vers le pont de Normandie sera un enchaînement d’averses orageuses, de coup de tonnerre et de coups de vent. La température à fortement chuter autour de dix degrés Celsius. Je n’ai plus le temps de profiter de quoi que ce soit. À chaque averse orageuse, je fais le dos rond et avance le plus possible.
Je roule depuis dix heures lorsque j’arrive dans l’estuaire de la Seine, le jour se lève petit à petit. Je laisse Tancarville sur ma gauche. Le ciel est gris, l’atmosphère humide et encore un peu fraîche. Au loin, le Pont de Normandie se dévoile majestueux. Sa pente est impressionnante. Par chance, en ce début de matinée, la circulation est plutôt inexistante, le franchir est plutôt agréable. Je profite de la vue sur l’estuaire.
Six heures et quinze minutes le Pont de Normandie est Franchi. Je suis attiré par la bonne odeur de boulangerie. Premier arrêt restauration pour un bon petit déjeuner. Un couple de concurrents Justine et Guillaume du duo « Bornes 2 run » est déjà attablé. Nous ne le savons pas encore, mais nous allons nous suivre, nous croiser et recroiser et vivre ensemble des moments assez forts de notre périple. Un autre duo d’Allemands arrivent derrière moi. Les concurrents défilent…
Je profite du petit-déjeuner pour lire les messages sur le WhatsApp que j’ai ouvert pour les membres de la Team inscrits sur la RAF 2022. Je découvre avec tristesse la chute de Cédrick vers minuit au kilomètre 138. À peu près au niveau du cimetière ou j’ai ravitaillé en eau. Je lui laisse un message pour savoir s’il est reparti. La réponse tombe peu après neuf heures du matin, c’est l’abandon !
Je repars rassasié. Le ciel demeure bien gris. La traversée de Honfleur est plaisante. Je roule maintenant en suivant le littoral de la Manche. Partout, les stigmates de la tempête de la nuit se révèlent. Des branchages et débris divers jonchent les voies m’obligeant à des écarts pour les éviter. La remontée sur Deauville ne fait que révéler l’importance du coup de vent de la nuit. Avec le summum des dégâts sur la pauvre ville de Villers-sur-Mer où aux dégâts matériels s’ajoute malheureusement un bien triste bilan humain d’un mort et plusieurs blessés. Les cabanes de plage ont été retournées comme un fétu de paille. Certaines gisent totalement disloquées le long du quai. Le vent est encore assez fort lorsque je traverse cette ville complètement bouleversée par ce qui s’est passé. Partout, sur les trottoirs, les conversations tournent autour de ces événements. Certains évoquent une vitre de restaurant qui a littéralement explosé. Je ne le sais pas encore, mais en fait un Kitesurfeur a été projeté par une tornade sur la devanture du restaurant et est décédé. Je poursuis maintenant ma route vers Houlgate et les plages du débarquement.
6 juin 1944 – 19 juin 2022 si soixante-dix-huit années et treize jours séparent ces deux dates, les conditions météos devaient être sensiblement identiques : une tempête, la veille, une mer assez forte et du vent.
J’aborde les sites du débarquement par l’endroit où tout a débuté le Pont de Bénouville dénommé « Pégasus Bridge » situé sur le canal de Caen à la mer et pris par les parachutistes Britanniques de la 6th Airborne Division. Ils étaient les premiers soldats alliés du débarquement de Normandie à fouler le sol français. Leur mission « Prendre le pont de Bénouville et tenir jusqu’à ce qu’ils soient relevés! ». Le pont d’origine se trouve exposé sur le site du mémorial et a été remplacé par un nouveau pont.
Passé le nouveau pont, je vire à droite pour longer le canal de Caen à la Mer. Je suis aussitôt accueilli sur un point de ravitaillement. Ce sont les parents d’une concurrente qui l’organisent. Ils tiennent ce point pour tous les concurrents de 2500. Je ne les ai pas reconnu de suite, mais le couple était en duo et « Finisher » sur la Race Across Paris. Encore un grand merci à eux !
La remontée sur Ouistreham ne fut pas très longue, mais avec le fort vent de face, elle fut plutôt physique ! La ville est de toute beauté, en la parcourant, je revois le passage du film le Jour le Plus Long où les hommes du commando Kieffer attaque le Casino et où le commandant Kieffer au prix d’un courage inouï reviens avec un char américain pour réduire au silence le canon et les mitrailleuses qui massacrent ses hommes…
Passé Ouistreham, je remonte le long des plages du débarquement Sword-Beach où débarque notamment le commando Kieffer, Juno-Beach, Gold-Beach, Omaha-Beach là où le débarquement à bien failli échoué et où j’ai bien failli prendre une pénalité. En effet, nous avons eu droit à une foultitude de versions de parcours. Elles étaient toutes dénommées du même nom, sans référence de date ou de version. Aussi, lorsque je me suis élancé, je pensé disposer dans mon GPS de la dernière version des parcours. Malheureusement, il n’en est rien ! Et c’est bien l’avant-dernière version qui nous faisait éviter la plage d’Omaha-Beach dont je disposais. Ainsi, alors qu’au rond-point de Saint-Laurent-sur-Mer j’aurais dû prendre à droite et descendre sur la plage d’Omaha-Beach, j’ai continué tout droit. Rappelé à l’ordre par le PC course, j’ai dû rebrousser chemin, quelques kilomètres plus loin, pour reprendre le parcours là où je l’avais quitté. Mais en longeant deux fois la plage. Une fois avec le vent de face et la seconde fois avec le vent dans le dos. C’est lors de ce retour que j’ai pu réellement profiter de la vision sur ce site historique. Et lorsque l’on voit la hauteur des falaises qui encerclent cette plage, on comprend rapidement ce qui s’y est joué avec les Allemands à l’abri sur les hauteurs et les alliés cloués sur la plage et en grandes difficultés pour sortir de cette nasse meurtrière. Je ne peut malheureusement m’éterniser, car le chronomètre tourne toujours. Il faudra que je revienne !
Passer Grandcamp-Maisy, nous bifurquons plein sud en direction d’Isigny-sur-Mer et d’Avranches en laissant la plage d’Utah-Beach sur notre droite. Petit à petit, le soleil refait son apparition. Les températures remontent alors sérieusement. En ce milieu de journée, je cherche en vain un restaurant pour avaler un repas consistant. Le duo allemand en fait tout autant. Mais en ce jour de fête des pères, tout est réservé ! Je poursuis ma route et ne trouve que deux « sandwiches triangle » et un Coca.
Un peu Avranches la fatigue commence à se faire sentir. J’ai une petite tendance à vouloir dormir dès que je dois forcer dans les raidars. Je vais mettre cinq heures pour parcourir les cent kilomètres qui me séparent d’Avranches depuis Grandcamp-Maisy. Presque vingt-quatre heures que je roule et plus de vingt-six heures sans dormir. Le temps passe vite ! Je dois impérativement manger un repas complet, et dormir un peu. Mais en ce dimanche après-midi tout est fermé. J’échange au téléphone avec Frédérick. Il pense faire un arrêt au Formule 1 d’Avranches après un arrêt au MacDonald situé au Nord d’Avranches. Vu la situation, j’opte pour la même option. J’arrive à l’hôtel pile dans les 24 depuis le départ. Mais je vais rencontrer deux soucis, le premier concerne la chambre qui m’a été attribuée par l’automate : elle n’a pas été faite. Et en ce dimanche soir personne pour accueil. Par chance, un minimum de gestion est assuré par l’hôtel ibis situé en face, une nouvelle chambre m’est attribuée au rez-de-chaussée. Cet incident me fait perdre presqu’une heure. Le deuxième souci concerne un choc au genou gauche. Alors que j’arrive au deuxième étage avec mon vélo pour m’installer dans la première chambre, la lourde porte coupe-feu se referme sur le vélo alors que la roue arrière est encore dans l’escalier. Le vélo se couche et le bas du cintre vient heurter et griffer la face interne de mon genou gauche. La douleur est vive, mais passe assez vite. Une belle griffure rougeâtre apparaît. Je ne m’inquiète pas.
Le bilan de la journée est assez positif avec quatre-cent-soixante-et-onze kilomètres parcourus. Alors que nous avons connu sur ce premier tronçon de forts écarts de température en passant de 36 °C à 10 °C en quelques heures. Et que les conditions de vents et d’orage ont sensiblement ralentis notre progression. J’espérai passer le Mont-Saint-Michel et atteindre Saint-Malo sur la première journée, mais l’absence de garantie de trouver de quoi dormir et me restaurer m’a conduit à revoir mes ambitions à la baisse. De même, si traditionnellement, je fuis plutôt les MacDonald, il faut l’admettre le dimanche soir, ce sont les seuls qui sont ouverts. En ultra il faut s’avoir s’adapter et souvent s’entêter n’est pas la bonne solution !
D’Avranches à Blois via le point de contrôle n°1 de Quelaines-Saint-Gault
Réveil à trois heures du matin. Je prends un petit-déjeuner rapide fait d’un gobelet de chocolat chaud et de quelques tranches de brioches. Mon objectif pour cette deuxième journée est d’atteindre Blois dans la soirée en passant d’abord par Quelaines-Saint-Gault qui tient lieu de base de vie et de point de contrôle numéro 1. Nous n’aurons aucune assistance sur cette base de vie, donc ni nourriture, ni boisson. Juste de quoi prendre une douche et l’eau des robinets pour remplir nos bidons.
Lorsque je m’élance, il fait encore nuit. La descente sur le Mont-Saint-Michel est paisible. L’air est un peu frais, ce qui me permet de sortir progressivement de ma courte nuit. J’arrive assez rapidement sur le Mont qui est encore plongé dans la pénombre de la nuit. Je ne le verrai pas ! Je poursuis ma route vers Saint-Malo. Je suis un peu en terrain connu. En effet lors d’une visite chez des amis qui habite Baguer-Pican, j’ai déjà eu l’occasion de rouler sur ses routes et de traverser tous ces villages : Pontaubault, Beauvoir, Roz-sur-Couesnon, Saint-Broladre, Cherrueix, Le Vivier-sur-Mer, Saint-Benoît-des-Ondes où je quitte le littoral pour rejoindre la ville Corsaire. La remonté sur Saint-Malo se fait à l’aube. La circulation reprend progressivement. J’arrive dans Saint-Malo vers six heures et trente minutes. Les boulangeries sont encore fermées. Je vais devoir patienter pour compléter mon petit-déjeuner sommaire d’Avranches.
Alors que j’arrive à proximité de la chaussée du Sillon, je mets ma main sur ma poche arrière où se trouvent ma balise GPS et mes papiers dont la carte bleue en prévision d’un arrêt boulangerie. Ma poche est ouverte ! Si les papiers y sont encore, la balise GPS n’y est plus ! Grand moment de solitude. J’appelle le PC course pour les informer de la perte de ma balise et pour leur demander s’ils reçoivent toujours le signal pour essayer de la localiser et de la retrouver. Par chance, le concurrent immédiatement derrière moi, l’a trouvée au beau milieu de la route à l’entrée de Saint-Malo et l’a ramassé. Le PC course me propose de la récupérer à Quelaines-Saint-Gault ou d’attendre sur place l’arrivée de mon sauveur. Je décide de rebrousser chemin et d’aller à sa rencontre. J’ai certainement oublié de refermer la fermeture éclaire de la poche lorsque j’ai pris mon petit-déjeuner au distributeur de l’hôtel. Une fois la balise récupérée, je décide de soigner mes émotions par un arrêt boulangerie…
Passé Saint-Malo nous changeons de nouveau de cap et partons pour le Sud-est pour aller chercher Vitré. Je mettais presque neuf heures pour parcourir les cent-soixante-trois kilomètres entre Avranches et Vitré, pause balise GPS et boulangerie comprise. Une douleur est apparue progressivement dans le genou gauche. Je pense d’abord aux fameuses douleurs qui apparaissent puis disparaissent au fur et à mesure de la course. Et essaye de passer outre en me disant que cela va passer.
La commune du Pertre marque la frontière entre l’Ille-et-Vilaine et la Mayenne. J’en profite pour m’acheter un sandwich et quelques bonbons pour le plaisir. La descente vers Quelaines-Saint-Gault n’est pas très plaisante. La chaleur remonte, le vent est plutôt de face et la route prend la forme de grandes lignes droites avec de longs enchaînements de bosses et de courtes descentes. Les paysages n’ont rien de distrayant. Et pour compléter la pénibilité du tronçon, ma douleur au genou ne s’amenuise guère. Je pense assez rapidement à mettre de l’Arnigel et de la gaulthérie. Arrivée à Quelaines-Saint-Gault, je fais un arrêt pharmacie, par chance elle dispose de Gaulthérie. Arrivée sur la base de vie, je fais tamponner mon passeport et ne perds pas de temps. Je prends rapidement la direction de la douche, pour me rafraîchir et me masser le genou.
Il est presque dix-sept heures lorsque je repars en direction de Blois. J’ai cent-quatre-vingts kilomètres à parcourir pour atteindre cette belle ville. Un recherchant un point de chute, je constate qu’il y a un hôtel Formule1 au Nord de la ville. L’avantage de ces hôtels, c’est que l’on peut arriver à toute heure, car la remise des codes d’accès se fait via un automate. Je pourrais aussi essayer de bivouaquer, mais des orages sont annoncés vers une heure du matin.
En repartant, je sers de poisson-pilote pour un concurrent qui rencontre de gros soucis avec son GPS. Il a déjà pris une pénalité. Il veut donc s’assurer que son GPS fonctionne correctement. Pendant de longs kilomètres, il roule cinquante à cent mètres derrière moi tout en tentant de résoudre son souci. Il semble y être parvenu. Il me remercie et repart devant. Malheureusement, dans le village suivant, il part à droite alors que nous devons virer à gauche. Je lui cri la direction à prendre, mais il ne m’entend pas. Je ne le reverrai plus !
J’arrive assez rapidement sur Sablé-sur-Sarthe. Il est un peu plus de dix-huit heures. La circulation est assez dense. À chaque feu tricolore son bouchon, on avance par à-coups. Tout en surveillant les voitures qui m’entourent, j’essaye de trouver une boulangerie ou une épicerie. Il y a bien quelques commerces, mais rien pour l’alimentaire. Je poursuis ma route et échange quelques mots avec un autre concurrent. Lui aussi cherche un restaurant et un hôtel pour la nuit. J’hésite, entre un arrêt au Mac Donald local ou continuer en espérant trouver un restaurant ouvert. Je décide de prendre ce que j’ai, plutôt que d’espérer mieux. Arrêt au Mac Donald pour me restaurer et faire le point. Frederick est devant moi, mais pas encore à Blois. Il envisage lui aussi d’y dormir à l’hôtel. Je repars. La route est un peu plus distrayante. Les paysages sont plus variés et les villages traversés sont agréables, un château par ci, un beau bâtiment par là, une rivière… À court d’eau, je quémande un bidon à une dame âgée qui arrose ses rosiers alors que le soleil commence à décliner à l’horizon. Le ciel oscille entre l’orange et le rouge. Les couchers de soleil sont toujours aussi magnifiques.
La nuit tombe progressivement. J’avance bien. Je laisse Angers sur ma droite et Le Mans sur ma gauche, puis me faufile entre Tours et Vendôme. Au loin l’orage sévi déjà. Et une armée de moissonneuses et de tracteurs jouent une course contre la montre pour finir les moissons du jour avant l’arrivée de l’orage. Le ciel s’illumine de plus en plus d’éclairs. Le tonnerre gronde. Puis le déluge arrive. C’est reparti pour une nuit compliquée ! Vu les débits d’eau, j’abandonne rapidement l’idée de rejoindre Blois à une quinzaine de kilomètres et me mets à la recherche d’un abri. Le premier arrêt de bus est déjà occupé : c’est la crise du logement pour les concurrents de la RAF… Il y a bien des toilettes, mais le sol n’est pas propre du tout. Je poursuis sous une belle averse orageuse. Et trouve enfin ma chambre, un arrêt de bus en bois avec un banc. Je prends ! Sortir mon matériel de bivouac et m’installer me prend quelques dizaines de minutes. L’orage redouble et l’abri bus n’est pas totalement étanche. Je m’en contente et m’endors bien au chaud dans le sac Sol Escape et ma doudoune.
Je clos cette deuxième journée avec un bilan de trois-cent-soixante-neuf kilomètres parcourus. Soit un total de huit-cent-quarante kilomètres depuis le départ. J’ai perdu un peu de temps avec la perte de ma balise GPS malgré tout, j’ai eu la chance qu’elle soit récupérée au milieu de la route. Deuxième journée, deuxième nuit d’orage. La météo ne nous gâte vraiment pas…
De Blois à Guegnon
Vers quatre heures une chouette perchée à proximité me réveille. Arriver quand tout le monde dort et repartir avant qu’il ne se réveille tel est le principe du bivouac ! Je décide donc de repartir après un petit post Facebook. J’assiste à un beau lever de soleil, j’en profite un peu, car le reste de la matinée va être bien grise.
À Blois, je décide de m’arrêter pour petit-déjeuner dans un bar-hôtel. J’y retrouve Silvia une concurrente allemande qui a passé la nuit à l’hôtel. Le personnel de l’hôtel est au petit soin pour moi : « allez y reprenez de la brioche, du pain, il faut manger ! » « Vous voulez du café, n’hésitez pas prenez du jambon et du fromage… ». Je repars rassasié en direction de Chambord que j’atteins assez vite. Le village est paisible en ce début de matinée. Le château, en travaux, émerge de la brume matinale dans un calme absolu. Pas un bruit, une pause avant une journée trépidante.
Chambord marque l’entrée en Sologne. Ayant déjà réalisé des Melun/Tours, Melun/Bourges… Je connais bien cette belle région. Plutôt plate et boisée, elle va nous offrir un bel intermède entre deux portions vallonnées. Pour l’heure, je remonte en direction du Nord-est vers La Ferté-Saint-Cyr où je bascule alors plutôt Sud-est en direction de Nevers. À Neung-sur-Breuvron, je décide de me ravitailler pour midi en profitant du charcutier et de la boulangerie et repars assez vite.
Ma douleur au genou gauche refait son apparition depuis quelques heures. Si la face interne présente comme une bosse, bizarrement la douleur concerne surtout la partie osseuse du genou et le vaste interne. je m’arrête à plusieurs reprises pour réaliser des massages et des étirements. Mais rien ne fonctionne dans la durée. J’essaye de me concentrer sur les éléments du parcours et me dis que la douleurs va finir par passer.
Le soleil refait son apparition. La température remonte assez vite pour devenir étouffante passé la mi-journée. Dans ces conditions, la progression est saccadée, car je dois veiller régulièrement à remplir mes bidons alors que beaucoup de villages traversés ne disposent ni de commerce, ni de fontaine. Il reste encore certains cimetières pour espérer pouvoir me ravitailler. Premier arrêt à diabolo menthe à Neuvy-sur-Barangeon, le cafetier accepte de remplir mes bidons d’une eau bien fraîche.
Peu après Teillay, je quitte le Loir-et-Cher pour le département du Cher. J’entre dans le Berry. Lorsque je passe au Nord de Bourges la physionomie du terrain change. La forêt disparaît peu à peu laissant la place aux cultures. Plus d’ombre pour se cacher. La traversée du Berry est étouffante. Mon compteur affiche 41 °C. Au loin, les nuages d’orages bourgeonnent. Cela n’annonce rien de bon ! Les bidons se vident rapidement. Nouvel arrêt dans une vente à la ferme. J’y fais quelques emplettes dont un demi-kilogramme de fraise et de cerises. Mon food-pouch déborde de fruits ! Je vais grignoter tout au long de la route. Le fructose et le jus des fruits m’apportent tout ce dont j’ai besoin, car avec la chaleur, j’ai des difficultés à avaler les aliments secs.
Tous les champs ont pris leurs couleurs de chaumes. Les moissons ont déjà commencé. Pour les agriculteurs, une course s’est engagée pour moissonner avant les orages. Un nouvel arrêt s’impose à la supérette de Baugy. Je ravitaille en eau fraîche. Nevers n’est plus très loin. Je franchis la Loire à Fourchambault et entre dans la Nièvre. Je suis maintenant en terrain connu. Fourchambault, Marzy Nevers des communes qui figuraient au programme de la cyclosportive « la Look ». Par bonheur, nous ne passons pas par le Bec d’Allier et sa belle montée bien pentue. Les premiers coups de tonnerre se font entendre au loin alors que je traverse Nevers.
À la sortie de Nevers, alors que je dois emprunter le chemin de halage du Canal latérale de la Loire, je tricote un peu. Le parcours m’envoie sur un chemin. Je m’écarte par erreur du parcours. Je cherche un passage sous le regard des Charollaises qui pâturent dans un pré. Je reviens sur mes pas et trouve enfin le passage par un autre chemin caché dans les herbes hautes. Étranges, ces passages en mode Gravel d’autant que le chemin n’est pas très dégagé. Mais depuis le départ, je ne suis jamais certain d’avoir la dernière version du parcours. J’arrive enfin sur le chemin de halage parsemé de branches et de feuilles, les stigmates des derniers orages. Après quelques kilomètres de progression à la fraîcheur du canal, je retrouve la route sur la D 13 en direction de Decize. Je laisse Chevenon sur ma droite. La vitesse repart à la hausse. À l’approche de Fleury-sur-Loire, de fines gouttes viennent me rafraichir quelques minutes et effacer toutes cette chaleur accumulée tout au long de l’après-midi. J’ai l’impression que mon corps est comme une éponge qui absorbe avec bonheur toute cette fraîcheur et humidité. Je revis un peu ! Mais cette sensation de bien-être ne va pas durer longtemps.
Un peu avant Decize, le tonnerre gronde fortement et le ciel derrière moi s’obscurcit assez rapidement. Le déluge s’abat à mon arrivé sur Decize. Les rues sont blanches d’écume tellement la force et le débit des précipitations sont importants. Le ciel est illuminé d’une multitude d’éclairs. Ce serait presque beau, s’il n’y avait pas ce déluge ! Partout, dans les rues, des cris retentissent devant les fenêtres ou vélux restés ouverts. J’imagine très bien les inondations à l’intérieur des villas. Je ne trouve aucun abri, si ce n’est les arbres sous lesquels il ne faut surtout pas rester. Je revêts ma veste de pluie, mes jambières, ma casquette de pluie à moitié protégé par le porche d’un magasin. Je repars ! Il fait nuit avant l’heure ! Un peu après Saint-Maurice, ça se calme un peu ! Partout des branches et des feuilles tapissent les routes. Ça repart de plus belle à Lamenay-sur-Loire. La visibilité se réduit considérablement malgré les très nombreux éclairs. Le débit des précipitations est impressionnant. Je cherche de nouveau un abri tourne et retourne, mais rien. Je dois poursuivre ma route ! Je ne distingue même plus les noms des villages que je traverse. Première crevaison de la roue avant. Je répare sous le déluge l’exercice est compliqué. Je reprend ma progression. Sous l’effet de la pluie sur l’écran tactile du compteur, je perd la trace du parcours. Chaque goutte qui tombe sur l’écran agit comme une commande intempestive. Les écrans défilent, des fenêtres s’ouvrent… J’essaye de reprendre le contrôle et de relancer le parcours, mais chaque goutte de pluie, qui tombe sur l’écran, vient contre-carrer mon action. Je décide de m’arrêter pour essayer de couvrir l’écran, mais je ruisselle ! Cet à ce moment que je suis rattrapé par Justine et Guillaume du duo « Bornes 2 run ». Nous décidons de rouler de concert pour améliorer notre sécurité individuelle. Nous repartons ! Tout en roulant, j’essaye de relancer mon compteur, car je n’ai toujours pas retrouver de trace. J’y arrive enfin et verrouille l’écran. Nouvelle crevaison pour Guillaume. Nous en connaîtrons sept : quatre pour moi et trois pour Guillaume. En fait la route est couverte de branches et de feuilles d’acacias. Nous faisons de notre mieux pour les éviter, mais il y en a tellement que nous sommes contraint de rouler dessus si nous voulons progresser. Initialement, à la sortie de Nevers, je devais arriver sur Gueugnon au alentour de minuit. Mais au fur et à mesure que nous avançons dans la nuit le délai d’arrivé recul, d’autant que le profil est plutôt vallonné avec des enchaînements de montées et descentes. Au sommet et la dernière montée avant Gueugnon, je crève des deux roues. Justine et Guillaume ont basculé dans la descente en pensant que je les suivais. Je mettrais une bonne demie heure à réparer. Rechercher les épines planter dans les pneus, de nuit et sous la pluie dense, n’a rien d’évident et démonter et remonter des pneus lorsque les doigts gourds et que tout est trempé est aussi un exercice de patience. J’atteindrais la base de vie de Gueugnon à 4 h 30 non sans mal, car là encore le parcours m’amène jusque devant un magasin « Carrefour Market ». Et je ne suis pas le seul concurrent à tourner en rond pour trouver la base de vie. Je prend contact avec l’organisation et fini par trouver seul la base de vie. L’accueil est chaleureux. Une bonne douche chaude et un petit repas et hop au lit pour deux heures de sommeil.
Troisième nuit, troisième nuit d’orage… Ce fut et de loin la plus difficile depuis le départ ! Je le découvrirais plus tard, que l’organisation avait envoyé un message à tous les participant pour les informer de la présence de branches sur les routes. Mais rien sur la cellule orageuse qui fut pourtant violente… Rouler de si longues heures avec un ciel irisé d’éclair et sous un tel déluge, je crois que c’est une première pour moi. J’ai cherché des abris, mais je n’en ai jamais trouvé. Il faut alors prendre sur soi, oublier les conditions particulièrement difficiles et avancer. Étrangement, je n’ai jamais eu peur, je n’ai jamais pensé à la grêle, qui pourtant a fait cette nuit-là d’énormes ravages à Paray-le-Monial notamment avec des grêlons de la taille de balles de tennis. Je me suis mis dans ma bulle en me concentrant sur le parcours, sur ce que nous affrontions : les branches, les crevaisons, la panne de l’un de mes éclairages arrière en raison d’une infiltration d’eau, la perte temporaire du parcours sur le compteur et accessoirement ma douleur du genou qui persiste avec un seul objectif : arriver à Gueugnon !
De Geugnon à Crêches-Sur-Saône
7 h 30, le réveil sonne, la nuit a été très courte, mais je dois repartir pour être dans les temps à Megève. Et surtout, je dois réparer quelques chambres à air avant de repartir au cas où. Initialement, pour ce quatrième jour de course, j’aurais dû atteindre Megève. Mais en ultra distance, la seule stratégie qui vaille c’est de gérer l’incertitude et les imprévus. Je pars donc avec la volonté de faire une fois de plus de mon mieux.
Je passe Clécy assez bien, mon genou ne me fait plus mal, malgré quelques petites alertes dans la montée. Le soleil est revenu. Les températures sont supportables. Je reprends plaisir sur le vélo.
J’entre dans le Charolais. Là encore pour y avoir participé à quelques cyclosportives, je connais un peu le terrain. Vallonné à souhait, aucun répit ne va nous être accordé. D’autant plus qu’à l’approche de Mâcon, la route va encore s’élever avec les premiers cols.
Je décide de ravitailler à Charolles avec un arrêt dans une boulangerie. Je repars avec un sandwich et des bouteilles d’eau minérale. Dès la sortie de ville, la route s’élève et les raidillons s’avèrent de plus en plus pentus. Je suis même contraint de zigzaguer pour passer un raidard à 11 %. La douleur au genou se réinstalle. Depuis quelques jours, je mets cette douleur sur l’effort et la sollicitation. Mais ce matin, je commence à prendre conscience de ce qui se passe. Une griffure en arc de cercle apparaît au niveau du tendon et de l’extrémité du plateau rotulien. La face interne du genou a pris une couleur qui vire du marron rosé au jaune avec une bosse au niveau du tendon. Alors que je l’avais oublié, je repense alors au choc sur le genou à Avranches. Lors du choc ou après le choc, un hématome a dû se former et s’aggraver à l’effort. En changeant de couleur, la griffure générée par le cintre se fait aujourd’hui plus visible. Même le muscle vaste interne à pris une couleur jaunâtre. Avec le recul, je me dis que plutôt me masser avec de l’Arnigel et de la Gauthérie, j’aurais dû plutôt m’orienter vers une pommade pour les hématomes et strapper le genou pour soulager la zone blessée.
Un peu avant 14 h 00, je ravitaille en eau dans le village de Sainte-Cécile avant d’attaquer l’ascension du col des Enceints. J’arrive au pied du col avec les premières gouttes du énième averse orageuse. Je gravi le col équipé en conséquence.
Vers 15 h 00, alors que je me dirige vers Pierreclos et l’ascension du col de la Grange du Bois. Un message de l’organisation nous demande de nous mettre à l’abri au moins jusqu’à 19 h 00 en raison du cellule orageuse sur la région Auvergne-Rhône-Alpes. Je ne trouve aucun abri sur Pierreclos. Et le premier véritable abri se trouve soit à Crêches-sur-Saône, soit au sommet du col de la Grange du Bois, si l’établissement est ouvert. Je décide donc de poursuivre vers le col. Tout en montant, j’essaye d’échafauder une stratégie. Soit repartir à 19 h 00 si l’autorisation nous est donnée de la faire, soit prendre un hôtel et laisser passer l’orage. Je prends une deuxième averse orageuse dans la montée de la Grange du Bois. Le ciel au loin est bien sombre et ne laisse rien présager de bon. Le refuge étant fermé, je décide de descendre sur Crêches-sur-Saône de faire le point une fois sur place. Le tonnerre se fait entendre au loin et le ciel est sombre en cette fin d’après-midi, il fait presque nuit ! La météo sur mon téléphone prévoit des orages jusqu’à 23 h 00 minuit. La décision est vite prise, je prends un hôtel, je mange, je dors et je repars tôt dans la nuit.
Je contact Frédérik par téléphone. Lui se trouve quelques dizaines de kilomètres devant moi à Trévoux. Nous échangeons sur la situation. Comme moi, il pense que le temps d’arrêt sera rajouté au délais et que nous n’avons pas de souci à nous faire pour Megève.
De Crêches-Sur-Saône à Saint-Jean-de-Chevelu
4 h 00 du matin me voilà reparti. Le temps nécessaire pour recharger le vélo, m’équiper est toujours un peu long. Il faut faire avec ! Le ciel n’est pas totalement dégagé, mais il ne pleut plus. Si le feu vert a été donné à 19 h 30 pour repartir, l’orage a grondé au moins jusqu’à 22 h 00 hier soir, après je dormais profondément.
L’objectif de la journée est simple, il faut que j’atteigne Megève et sa base de vie ! La descente sur Trévoux assez plaisante. En cette heure matinale, le trafic n’est pas trop chargé. Je savoure ! Je ravitaille assez rapidement à Trévoux : fraises, fromage, boissons, bonbons et gâteaux. Je repars assez vite pour contourner Lyon par l’Est via Saint-André-de-Corcy et Tramoyes. Plus j’avance dans la matinée et plus la circulation se charge. Les Lyonnais roulent comme des fous. À plusieurs reprises, je suis serré sur des petites routes. Cette partie Lyonnaise du parcours est guères plaisante. J’ai hâte d’en sortir et d’attaquer les Alpes. À Villette-d’Anthon, je profite d’une pharmacie pour acheter de quoi strapper mon genou. Ce dernier me fait moins mal, mais je crains qu’avec les cols Alpins la douleur revienne surtout si ça se remet à saigner à l’intérieur. Il faut donc que je soulage le muscle avec des bandes élastiques.
La remontée vers les premiers reliefs alpins se fait plus sereine. À la mi-journée, je franchis la Rhône sur la commune de Briore. Un restaurant attire mon attention sur la gauche. Je décide de m’y arrêter, car le petit-déjeuner du matin n’a pas été très copieux, et par habitude, je sais que l’offre alimentaire sur la base de vie, ce soir, ne sera pas suffisante. Je déjeune en moins d’une heure, il faut dire que nous ne sommes que trois clients. Je me sens d’attaque pour les premiers cols Alpins.
Le premier col est le Col des Fosses. Il culmine à 745 mètres avec un peu moins de sept kilomètres d’ascension. Comme j’en ai pris maintenant l’habitude, je le franchis sous un orage. Au loin, le ciel se charge sur les sommets. Je décide de faire appel à des amis pour connaître la situation météo sur ma route jusqu’à Megève. J’envoie donc un message à mes amis Alpins de la Team Cyclosportissimo. Les réponses ne tardent pas à tomber. Elles sont d’abord rassurantes. Mais lorsque j’arrive au sommet du col, la situation semble évoluer assez vite au fur et à mesure de ma progression. Je prends une deuxième averse orageuse dans la descente avec de fortes rafales de vent.
Je me dirige maintenant en direction du Col du Chat. Anne-Fred de la Team m’informe régulièrement de l’évolution météo et me propose une pause à son domicile au cas où. J’entame maintenant la première montée en direction du col du Chat sous un ciel plus que menaçant. C’est alors que mon téléphone sonne : un appel de l’organisation ! C’est Noémie qui m’informe que je ne pourrais pas être avant 20 h 00 à Megève et que l’organisation a décidé de me mettre hors course et me demande de rejoindre, la gare TGV la plus proche. Je lui indique que le délai de 20 h 00 ne prend pas en compte le temps d’arrêt de la course la veille. Elle me précise que la base doit impérativement fermer à 20 h 00. Je lui indique alors que si le souci est la mise à disposition du Drop Bag, je n’en ai pas besoin. Je lui explique que j’ai ma doudoune avec moi et qu’il me manquera seulement les gants longs d’hivers, mais que je pourrais en acheter sur la route. Elle ne s’attendait pas à cette réponse. Aussi, je perçois le trouble que génère ma réponse. Noémie m’indique qu’elle va me rappeler.
Je viens de prendre un coup de massue sur la tête. J’appelle aussitôt Nathalie. Nous tombons d’accord : je continue, tant pis pour le Drop Bag. Mais lorsque Noémie me rappelle au pied du Col du Chat, sa réponse est lapidaire : « si tu continus nous coupons ta balise et tu n’apparaîtra plus sur le suivi ! » Il n’y a plus de discussion possible, ils ont pris leur décision et je ne dois pas continuer ! Je lui fais part de mon profond mécontentement, car sans suivi avec la balise en haute montagne avec des orages potentiels, ils savent très bien que je ne peux pas continuer. Surtout, ils ne prennent pas en compte la suspension de la course pour raison de sécurité. Elle me propose de laisser mon drop bag à l’Hôtel à Megève où je pourrais le récupérer, alors que si je choisissais de continuer, je ne pourrais pas transporter mon drop bag.
Je rappelle Nathalie et l’informe de l’évolution de la situation. Nous convenons que sans balise GPS et donc sans suivi, je ne peux pas continuer en haute montagne avec des orages. J’accepte à contrecœur la proposition d’Anne-Fred pour un accueil ce soir.
Après des mois de préparation, l’organisation me met hors course avant même la fin du délai horaire, sans même prendre en compte la suspension de l’épreuve la veille par la direction de course. Sans même prendre en compte les conditions particulièrement compliquées dans lesquelles se sont déroulées ces premières journées. Alors que je me sens en capacité de finir, que je suis déterminé à aller au bout, que j’ai géré ma progression malgré les orages, qu’à aucun moment, je n’ai eu envie d’abandonner : je ne peux pas me faire entendre ! La décision est prise sur la seule motivation logistique : il faut fermer la base de vie de Megève et rendre les locaux à l’hôtel qui accueillait cette base de vie ! Cela restera à tout jamais un fiasco et une décision injuste et incohérente.
En même temps, je suis triste, car j’apprends qu’un concurrent à perdu la vie le matin même, renversé dans un rond-point par un automobiliste alors qu’il quittait son hôtel. Paix à son âme ! Je me trouve alors dans un sentiment partagé entre déception et tristesse. Je pourrais éventuellement comprendre que l’organisation, pris par la gestion de l’accident mortel, n’ai pas pu prendre le recul nécessaire pour statuer sur la fermeture de la base de vie de Megève. Mais ma déception se transformera en colère lorsque tombera le message suivant de l’organisation quelques heures plus tard :
Bonjour Eric, Zone orageuse violente qui balaye toutes les Alpes. Par mesure de sécurité, nous vous demandons de vous mettre à l’abris et de ne pas monter en altitude. Compte-tenu des conditions météo très difficiles depuis le début de l’événement, le PC Sécurité sera très flexible quant aux délais d’arrivée. Nous souhaitons qu’un maximum de participants deviennent finisher de l’événement. Priorité à votre sécurité, soyez vigilants, L’équipe Race Across France by van Rysel ——————– Hello Eric, Violent stormy zone sweeping through the Alps.For safety reasons, we ask you to take shelter and not to climb passes. Due to the very difficult weather conditions since the beginning of the event, the Security HQ will be very flexible regarding the arrival time.We want as many participants as possible to become event finishers. Your safety is our priority, please be vigilant, The Race Across France by Van Rysel team |
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Comment peut-on écrire : « Compte tenu des conditions météo très difficile depuis le début de l’événement, le PC Sécurité sera très flexible quant aux délais d’arrivée » alors que de nombreux concurrents sont mis hors courses uniquement pour des problèmes de logistique de salle, de base de vie ?
Comment peut-on déclarer « Nous souhaitons qu’un maximum de participants deviennent finisher de l’événement. Priorité à votre sécurité, soyez vigilants » alors que les décisions prises pour la base de vie de Megève interviennent avant même le délai de 20 h 00, alors que l’on ne prend même pas en compte la durée de suspension de la course la veille, et que les conditions particulièrement difficiles depuis le départs ne sont même pas pris en compte ?
Il y a une incohérence certaine entre les déclarations et les actes ! Seuls 56 % des concurrents sont finishers. Ce taux est le plus bas de toutes les éditions ! Sur les 40 abandons certains font suite au contre-la-montre que les concurrents ont dû mener, après l’appel de l’organisation, pour rejoindre Megève avant 20 h 00. Ils y ont laissé, inutilement, des forces en abandonnant la gestion de l’effort au profit du chronomètre ! Certains l’ont payé dans l’ascension de l’Iseran. Il semble même qu’ils n’aient pas pu se reposer après leur arrivée sur Megève puisque la base fermait et que les délais pour rejoindre Saint-Jean-en-Royans se rétrécissaient. Nous sommes dix-sept sur le parcours de 2600 km à avoir été mis hors courses avant même les délais de fermeture de la base de Megève et sans même prendre en compte la durée de suspension de la course.
Concernant la sécurité, les décisions prises par l’organisation sont contre productives, car compte tenu du coût d’inscription, des efforts consentis, de l’investissement personnels et familiale pendant des mois avant l’épreuve, il y a un risque qu’à l’avenir que des concurrents ne respectent plus les consignes de sécurité et de mise à l’abri pour ne pas être pénalisés. Il aurait d’ailleurs mieux valu sanctionner ceux qui n’ont pas respecter les consignes, fait reconnus par l’organisation, plutôt que de sanctionner ceux qui ont respecter les consignes. Pire, sur le 1000 kilomètres, un concurrent a été mis hors course, car il n’aurait pas progressé depuis 24 heures, alors que par trois fois, il a tenté de gravir l’Iseran et par trois fois, il a été pris dans de violents orages.
Je considère que la sécurité est une affaire de tous, y compris des concurrents. Sur les bickingMan un pourcentage de temps a déjà été rajouter au délai maximal pour franchir la ligne d’arrivée pour tenir compte des conditions météorologiques défavorables (orages), ce qui conduit effectivement chaque concurrent à être acteur de sa propre sécurité en gérant sa progression. Sur la Race Across France, au contraire, si nous ne voulons pas être mis hors course, nous sommes incités à rouler coûte que coûte, à ne pas respecter les consignes en nous arrêtant et donc à prendre des risques.
Arnaud Manzanini est venu à ma rencontre à Mandelieu-la-Napoules pour s’excuser. Il m’a déclaré comprendre ma colère et m’a proposé de m’inviter sur les courses de mon choix l’année prochaine. Cela démontre de sa part une prise de conscience des problèmes générés par les décisions de l’organisation.
Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Pour moi, la Race Across France est une course de dix jours. Que nous ne disposions plus de nos drop bag, passé un certains délais sur les bases de vie, je l’aurais compris. D’ailleurs, nous permettre d’avoir des drops bags fait que la Race Across France n’est pas vraiment une course en autonomie, mais plutôt une épreuve en semi-autonomie. Sur beaucoup d’épreuves ultra cyclisme aujourd’hui, il n’y a pas de drop bag ! Chaque concurrent doit transporter du début à la fin ce dont il pense avoir besoin tout au long de l’épreuve.
Aujourd’hui, à mes yeux, la beauté de cette épreuve est ternie par un véritable souci de gestion. Certaines situations sont mal anticipées par l’organisation. À titre d’exemple, face aux situations orageuses qui s’enchainaient, nous avons été quelques-uns à proposer de figer le classement selon les positions et d’arrêter la course en invitant les concurrents à rejoindre Mandelieu par les vallées en convoi. On nous a opposé un refus, alors qu’un grand nombre de manifestations sportives montagnardes étaient dans le même temps annulées soit par les organisateurs, soit sur ordre des préfectures comme dans la Haute-Loire notamment. Cette option n’a pas peut-être tout simplement pas été anticipée. L’organisation a fait le seul choix de suspendre la course temporairement sans prolonger d’autant les délais d’arriver sur Megève et en sanctionnant ceux qui ont fait preuve de prudence. A contrario, les concurrents qui continuent de rouler malgré les consignes ne sont ni rappelés à l’ordre, ni sanctionnés en temps. Concernant les vecteurs de communication avec les concurrents, ces derniers ne sont pas mis clairement en place, ni même pérennisés. Ainsi, les informations passent tantôt par Facebook, tantôt par notre messagerie, tantôt par SMS ce qui pose un véritablement un problème d’accès aux consignes et aux informations. Ce qui peut aussi expliquer, que certains concurrents ne se soient pas arrêtés. Enfin, les concurrents ne sont pas certains de disposer de la dernière trace valide du parcours puisque chaque nouvelle version reprend le nom de la précédente…
Pour 2023, Arnaud Manzanini annonce un travail sur la sécurité, je vais donc attendre de voir. Mais cette édition 2022 de la Race Across France me laisse vraiment un goût d’inachevé et d’amère déception ! Si c’est pour revivre la même mésaventure, même en qualité d’invité, je préférerais m’orienter vers d’autres organisations !
Il est temps de passer à d’autres aventures et d’oublier rapidement cette RAF 2022, je vous donne rendez-vous pour la Normandicat Historique…
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