La Race Across Paris est une épreuve d’ultra cyclisme organisée par la société Across and Beyond Endurance AG sur les routes d’Île-de-France. L’épreuve comprend trois distances : le parcours de 1000 kilomètres comprenant l’enchaînement de la boucle de 500, puis celle de 200 pour finir par celle de 300 kilomètres. Le parcours de 500 kilomètres avec la boucle de 200 puis de 300 kilomètres. Et le 300 kilomètres avec la boucle de 300 kilomètres. Les concurrents inscrit sur le mille kilomètres sont les premiers à s’élancer. Ils sont suivis le lendemain par les concurrents des 500 kilomètres qui s’élancent à leur tour puis ce sont ceux des 300 kilomètres qui prennent le départ l’avant-dernier jour. Ces départs, échelonnés, sur les différentes distances, permettent à l’ensemble des concurrents inscrits de se retrouver au fur et à mesure de l’avancée de l’épreuve.
L’une des particularités de la Race Across Paris est que nous ne pouvons pas découper le parcours comme nous le ferions sur d’autres épreuves reliant un point A un point B. Ainsi par exemple sur le Race Across France, nous pourrions découper le 1000 kilomètres en trois journées de 333 kilomètres et gérer sereinement notre temps de repos. Pour la même distance sur la Race Across Paris, nous sommes contraint suivre l’ordre des boucles et revenir à la base de vie entre chaque boucle.
La Race Across Paris présente plusieurs avantages. Elle me permet, sans trop de déplacement, d’ouvrir ma saison des longues distances. Elle me permet également de tester certains points de ma préparation, matérielle et stratégique. Mais c’est surtout une épreuve à part entière, difficile, très vallonnée qui permet de se mettre en confiance et de retrouver ses marques après les longs mois d’hiver. Jusqu’alors je m’inscrivais plutôt sur l’épreuve de cinq-cents kilomètres, mais après ma mise hors course sur la Race Across France, j’avais à cœur de me tester sur le mille kilomètres !
Trois éditions, troisième participation !
Le rendez-vous nous était donné avec l’organisation le 19 avril 2023 à 15 h 00 pour le retrait des dossards, le briefing de course et la chaleureuse « Pasta partie » d’avant course. Pour ma troisième participation à la Race Across Paris, initialement Île-de-France, je commence à être rodé aux procédures de contrôle que je passe sans encombre.
La procédure de départ pour la boucle de 500 kilomètres est lancée dès 22 h 00. Avec mon dossard 1020, je m’élance à 22 h 18. L’ambiance chaleureuse et festive du sas de départ laisse rapidement la place au calme de début de nuit.
Pour cette première boucle de 500 km, je m’élance avec deux objectifs qui sont intiment liés : Premièrement m’arrêter le moins possible en suivant un plan de progression et des arrêts optimisés, car je m’arrête toujours trop. Secundo, essayer de clore cette première boucle en 25 ou 26 heures. La difficulté de cette première boucle réside dans l’autonomie totale pendant au moins douze heures. En effet, les commerces fermés la nuit ne rouvriront que le lendemain matin. De même, vu les températures extérieures du moment, il est à craindre que les fontaines et robinets extérieurs soient pour la plupart fermés.
La première boucle (500 km) est à parcourir dans le sens anti-horaire. Elle va nous mener vers l’Ouest et le Vexin, puis vers le Sud-est via les Parcs naturels régionaux de la Vallée de Chevreuse et du Gâtinais pour ensuite mettre le cap à L’Est pour rejoindre et traverser la plaine Briarde et finir par une remontée nordique vers Chantilly via le Parc naturel régional Oise Plaine de France.
Comme sur toutes les courses d’ultra distances, les premières heures consistent à créer les écarts. Je rattrape des concurrents et suis moi-même rattrapé. Je me concentre essentiellement sur mes sensations. Chaque dépassement de concurrent est l’occasion d’échanger quelques mots d’encouragement, c’est aussi cela l’ultra distance la bienveillance et la solidarité dans l’effort !
Mon premier arrêt optimisé est programmé au kilomètre 170,6 sur la commune de Clairefontaine-en-Yvelines. Avec un arrêt boulangerie et deux fontaines que je connais bien et dont l’une se situe tout à côté de la boulangerie. J’ai donc tout le loisir de m’installer dans ma bulle.
À presque quarante kilomètres du départ nous quittons l’Oise et passons dans le Val-d’Oise. Le Vexin est loin d’être plat, bien au contraire ! Le travail de sape du profil de ce parcours de mille kilomètres débute rapidement. À un talus, succède à un coup de cul. Parfois, nous pensons que ça va redescendre, mais en fait ça remonte très vite sur la bosse suivante. Il faut gérer ! Gérer son effort pour tenir la distance, mais aussi gérer son temps pour terminer dans les délais qui sont fixés à trois jours et demi pour le mille kilomètres.
Notre progression est égayée par les feux rouges clignotants des concurrents qui nous précèdent. Tels des phares, nous les suivons au loin et les gardons en ligne de mire. Parfois, ils disparaissent temporairement au grès d’un virage, d’une forêt, d’une bosse, surtout d’une bosse ! Mais toujours, ils reviennent !
La stratégie de certains concurrents peut paraître étrange, ils roulent fort, me doublent, s’arrêtent régulièrement. Je repasse devant. Ils me reprennent plusieurs kilomètres plus loin et ainsi de suite. Je rencontrerai cette situation tout au long de l’épreuve…
Dans ma stratégie, certaines communes me servent un peu de point d’étape. Marines est la première qui survient dans ma progression, vient ensuite La Roche-Guyon et ainsi de suite. Cela m’évite de regarder régulièrement les métriques du compteur. Lorsque j’arrive sur Marines, je suis en phase avec mon plan de marche voir même avec une légère avance de onze minutes. Cela me rassure et me permet de valider mes bonnes sensations. Le même écart se maintiendra arrivé à la Roche-Guyon où je bascule dans les Yvelines après un bref passage dans l’Eure.
Sur la commune de Tilly, je tente un ravitaillement en eau. Malheureusement, mais comme prévu, la fontaine à proximité du portail du Château est fermée. Tout comme le robinet du cimetière. Depuis le départ, je roule à l’économie hydrique, il va falloir que j’économise jusqu’à Clairefontaine ! Cependant, j’arrive sur Clairefontaine-en-Yvelines avec une avance de prés de cinquante minutes sur mon plan de marche. Je devais faire l’ouverture de la boulangerie et là, elle n’ouvrira que dans une heure. Et malheureusement pour moi, les deux fontaines de la commune sont également fermées. Un litre et demi d’eau pour presque deux-cents kilomètres, je suis bien loin des standards d’hydratation préconisés à l’effort. Je me transforme en chameau !
Je poursuis ma route avec les premiers signes du manque de sommeil. J’arrive en effet dans la zone que je nomme la zone du « sommeil crépusculaire ». C’est une zone qui débute généralement vers quatre du matin et se termine après le lever du jour lorsque la chaleur remonte. Le besoin de sommeil devient prégnant sous l’effet conjugué de la fatigue de la nuit et de la baisse de la glycémie. Dans cette zone, je peux être contraint de réaliser une sieste d’une vingtaine de minutes pour repartir. Mais le plus efficace reste quand de petit-déjeuner pour faire remonter la glycémie. Aujourd’hui, mon niveau de fatigue reste gérable. La commune de Saint-Cyr-sous-Dourdan marque mon entrée dans l’Essonne. À Saint-Chéron, la boulangerie « La boîte à choux » et un bar m’ouvrent leurs portes pour petit-déjeuner. Le chocolat chaud n’est pas terrible, mais au moins, il me réchauffe, car la température extérieure est au alentour des 4 °C.
La remontée Gâtinaise vers Fontainebleau est agréable. Tousson marque l’arrivée sur la Seine-et-Marne ! Je suis maintenant sur mes terres d’entraînement pour au moins cent-cinquante kilomètres. Alain, membre de la Team Cyclosportissimo et bénévole sur l’organisation de cette épreuve, est venu m’encourager au large de Reclose avant de rejoindre Chantilly. Les bonnes surprises s’enchaînent ! À Écuelles, où plutôt sur la commune de Moret-Loing-et-Orvane puisque c’est le nouveau nom du regroupement de communes, une merveilleuse surprise m’attend : ma fille Émilie et l’un de mes trois petits-fils sont là. Malheureusement, ses deux frères ont dû rentrer avec leur papa, car ils ont encore de l’école. Ils doivent être déçus. Des bises, des câlins et je repars avec une bonne dose d’émotion.
À Fontainebleau, je m’arrête à une boulangerie « La Bassée » non loin du centre de secours. Les sandwichs y sont bons et ils sont bien achalandés en boissons ! Un sandwich au poulet crudité, de l’eau pour les bidons, un Coca et je repars assez rapidement.
Plus loin, une nouvelle surprise m’attend : mon épouse est venue à Héricy pour un petit coucou peu avant la côte de Barbeau où j’ai l’habitude de réaliser mes séances de fractionnés en côte. Nouvelle séquence émotion ! J’en profite pour finir mon sandwich avant d’attaquer la partie la plus compliquée du parcours : la remontée briarde avec un vent contraire assez fort !
Dès Provins, il va nous user sur de grandes lignes droites bosselées sans aucun abri à travers les plaines céréalières et à betteraves ! Il faut faire avec sur de longues distances. Calé sur les prolongateurs, avec la position la plus aérodynamique possible. Avaler les kilomètres ne peut se faire qu’en dégustant avec patience en trouvant le meilleur braquet. Mentalement, il faut essayer de faire corps avec le vent en se concentrant sur la technique et en oubliant temporairement les moyennes kilométriques. Dans ces conditions, j’ai recours à la méthode Coué : « Le vent est mon ami » que je me répète régulièrement. Au moins, j’ai un avantage, je connais toutes les petites routes du parcours.
L’arrivée sur Provins marque un passage plutôt désagréable. Les routes y sont défoncées et la circulation relativement dense. Il faut jouer avec les trous, les déchets et les voitures. Passé Saint-Brice cela va un peu mieux, même si la circulation du milieu d’après-midi reste soutenue sur la départementale 236. Je roule de concert avec un concurrent qui rencontre des soucis de GPS. Calé cinquante mètres dernière moi il suit mes changements de direction tout en essayant de régler son souci. Les fleurs de colza ondulent sous l’effet du vent et ramènent sur nous cette odeur si caractéristique.
Sur la commune de Saint-Martin, nous quittons la D 236 et remontons plein Est vent de face en direction de la Ferté-Gaucher, via Villiers-Saint-Georges et Saint-Mars-Vieux-Maisons. De jolis petits coins, mais usants, les bosses s’enchaînent jusqu’à Pailly non loin du parc Astérix. À partir de la Ferté-sous-Jouarre les averses éparses plutôt fraiches viennent nous surprendre et nous saisir. Pris par surprise, je n’ai pas le temps de m’équiper et me retrouve mouillé. Ce ne sont pas de grosses pluies, mais elles sont suffisantes pour humecter mes vêtements et préparer l’arrivée du froid et du brouillard. Après quelques dizaines de kilomètres, la température tombe à 0 °C. Je suis frigorifié et tremble sur le vélo. Je me suis couvert, mais mes vêtements légèrement mouillés ne permettent pas à la chaleur corporelle de reprendre le dessus. Et les passages dans les plaques éparses de brouillard ne font qu’accentuer la sensation de froid.
À moins de dix kilomètres de l’arrivée, c’est la chute ! Au détour d’un virage à droite et montant en forêt, j’arrive sur une plaque de brouillard assez dense sur quelques mètres. Le halo de ma lampe transforme cette plaque en un voile blanc opaque. Je ne distingue plus rien de l’environnement, je mords le bas-côté et tombe assez violemment. Je mets quelques secondes à reprendre mes esprits. Je n’arrive pas à déchausser ! J’ai mal au coude et à la hanche droite et bizarrement à la main gauche ce qui rend encore plus compliqué le déchaussage. Je m’énerve, et me dis que si un autre concurrent arrive, il va me tomber dessus. La première cale lâche enfin et me permet de dégager le vélo de quelques centimètres et déclipser la seconde cale. La douleur est vive, mais rien ne semble cassé ! Le cuissard n’est pas déchiré, pour ma veste Skydry difficile à voir. Je mets de longues minutes avant de reprendre mes esprits et de faire le point sur le vélo dans une nuit noire. Je redresse la manette droite… Je repars. Avec le froid et la chute, ma lucidité est de beaucoup diminuée. Je me perds ! J’aurais dû prendre la route forestière Toudouze et me retrouve dans un chemin sableux au possible, à pied, les roues qui s’enfoncent profondément dans le sable fin de ce qui ressemble à une piste pour chevaux. Le tout en boitant ! Je cherche, me cale sur le GPS, mais sa précision en forêt ne se fait pas au mètre prés. Pour lui, je suis sur la trace ! Mais cela me semble impossible. J’appelle le PC course et leur explique ma situation. Ils me remettent sur le carrefour en étoile à dix embranchements ! Partout du sable, mais pour rejoindre la route forestière Toudouze, en face d’où je suis arrivé, il faut franchir une portion sableuse d’une cinquantaine de mètres avant de retrouver le dur. Ils m’attendent au PC course pour faire le point avec moi sur ma chute…
J’arrive presque une heure après ma chute. Je tremble tellement de froid qu’avant même d’essayer de faire le point de mes blessures, je décide de manger une soupe brûlante et une box de riz bien chaude. La douche, juste chaude, vient ensuite. En l’absence de miroir, je palpe, je ne sens pas de plaie. Par contre, la hanche et le coude sont très douloureux à la palpation. Vers 2 h 15, je me couche pour trois heures de sommeil. Malheureusement, les douleurs seront plus fortes que l’envie de dormir. Elles me réveillent après seulement 2 h 15 de sommeil. J’ai beaucoup de difficultés à me lever du lit de camp et encore plus à marcher. Le doute m’assaille. Alain, me croise clopin-clopant. Nous échangeons, il me propose d’aller voir Arnaud Manzanini, l’organisateur, au PC Course pour faire le point. L’avis du médecin de la course est sollicité par téléphone. Il me prescrit du paracétamol toutes les six heures et m’autorise à repartir pour la boucle de deux-cents afin de tester ma capacité à poursuivre. Je tremble toujours de froid, peut-être de fatigue, peut-être nerveusement ou bien les trois à la fois. Je décide d’attendre la levée du jour et la remontée des températures pour repartir.
Le 200 – Rien ne sert de courir, il faut partir à point…
Je repars vers 7 h 44. Plutôt maladroit au départ. Le paracétamol ne fait pas encore totalement effet. Je me teste : impossible de rouler en danseuse sans souffrir, les relances en appuyant plus fort sur les pédales sont aussi très douloureuses. Je dois trouver un juste-milieu, ma cadence la plus confortable se situe entre soixante et soixante-dix rotations par minute en gardant un rythme continu ça passe mieux.
La boucle de deux-cents kilomètres va nous mener jusqu’à Château-Thierry, ville de natale de Jean de la Fontaine. Cap à l’Est donc pour un boucle allongée. C’est une petite nouveauté sur cette édition 2023 que l’on doit à Eric Leblachet.
Sitôt passé Senlis, nous entrons dans la forêt d’Ermenonville. Très rapidement, je suis rattrapé par les premiers concurrents du parcours de cinq-cents kilomètres partis dès 8 h 00 et quelques concurrents du mille. Lorsque je m’arrête, il y a toujours le petit « ça va ? », car beaucoup m’ont vu déambuler dans la base de vie clopin-clopant avec mon maillot Cyclosportissimo.
Dès Bouillancy, le profil du parcours s’accidente de plus en plus. Nous sommes de plus en prise avec peu de plats. Ce qui me fait le plus mal, c’est les reprises en fin de descentes, car cela provoque des à-coups et donc de la douleurs. Un peu avant May-en-Multien, j’entre de nouveau dans la Seine-et-Marne. Je suis alors à mi-chemin de Château-Thierry.
Le ciel couvert me rafraîchit un peu et rend ma progression plus facile. Par moment quelques concurrents restent quelques minutes pour discuter, avant de repartir.
Dès Crouy-sur-Ourcq, les pourcentages se durcissent. Je tente de rester en permanence sur le plateau de 34 : 34/11 sur le plat ou en descente, 34/27 à 32 pour les montées. Mais au bout d’une heure, ma moyenne kilométrique s’est effondrée et oscille maintenant autour de 17 km/h et en plus, ce n’est pas forcément moins de douloureux en hypervélocité.
Les coteaux de Champagnes font varier les paysages. « Château-Thierry » apparaît de plus en plus sur les panneaux de direction. C’est bon signe, d’autant que j’ai prévu de m’arrêter à Essômes-sur-Marne, juste après Château-Thierry, pour me ravitailler. Beaucoup de concurrents ont décidé de s’y arrêter également. Les conversations se lient tout en mangeant. Sur un banc, ça rigole fort ! Sur l’autre trottoir, les clients d’un bar charrient un groupe de cyclistes.
Je repars avec le soleil. La température remonte assez vite. Je suis contraint de m’arrêter à plusieurs reprises pour me dévêtir de plus en plus. À Rouvroy, nous quittons la départementale pour débuter la longue ascension du Mont Bonneil. Nous retrouvons la départementale à Romery-sur-Marne. C’est le moment où mon dérailleur avant décide de jouer des siennes en refusant de passer la chaîne sur le grand plateau. La fourchette est légèrement tordue, certainement suite à la chute. J’essaye de la redresser et repars tester. Je ferais trois tentatives avant de sortir la clef ad-hoc pour jouer sur le réglage. Cela fonctionne enfin, mais la vis de butée est presque à bloc. Le dérailleur a dû prendre un coup lors de la chute.
Je passe une série de villages que je connais bien : Montreuil-aux-Lions, Dhuisy, Lizy-sur-Ourcq, Étrépilly, Marcilly… Je sens que l’écurie approche !
Nouveau coup du sort, alors que je quitte la route forestière en rejoignant la D 222 à proximité de la Chapelle-Saint-Sulpice, je crève de la roue arrière sur des débris de végétaux. Avec mes douleurs et le poids du vélo, la réparation me fait perdre une petite demi-heure. Le double de temps que ce que je mets traditionnellement pour réparer. Un concurrent du cinq-cent me charrie en me lançant un « Pas de bol ! ». Je le retrouverais à l’arrêt quelques centaines de mètres plus loin, même cause, même combat !
À l’approche de la base de vie, plusieurs concurrents du 1000 qui repartent pour la dernière boucle m’encouragent : « Aller Eric ! Tu repars après ? » « Oui, je mange et je repars dès que possible, bonne route à toi ! » « Super… » Ces encouragements me font du bien et j’adore cette philosophie où nous nous battons contre nous et non contre les autres tout en restant bienveillant envers nos camarades. J’arrive enfin à la base de vie vers 19 h. Alain m’accueille. Après quelques mots gentils, il m’indique qu’Arnaud veut faire le point avec moi.
Point : ma moyenne s’est effondrée et les projections sur « Racemap », le logiciel de suivi live, ne sont pas bonnes me concernant. Selon Racemap, je devrais arriver hors délai dimanche matin pour la dernière boucle de trois-cents kilomètres. Je marque le coup. Mentalement dans ma tête me voilà de nouveau sur la mise hors course comme sur la RAF 2022. Arnaud s’inquiète : « tu es sûr que tu n’as pas de fêlure à la hanche » je lui réponds que je ne pense pas, ça va un peu mieux ce soir, mais j’ai souffert toute la matinée. En plus, j’ai eu un souci de dérailleur et une crevaison alors oui le temps d’arrêt m’a fait chuter la moyenne (15,1 km/h), mais de là à arriver hors délai, j’ai un doute !.
Arnaud m’invite à profiter du départ des concurrents du parcours de 300 kilomètres dès 23 h, mais je décide de repartir rapidement. Je refais le calcul tout en mangeant : 12 h pour faire le 200, cela devrait faire 18 h 00 pour le 300. Comment Racemap, peut-il me projeter hors délais ? Je ne comprends pas, mais je ne prendrais pas de risque. Je veux finir !
Je me change et m’équipe pour la pluie, car cette dernière est annoncée pour la fin de nuit et à la matinée du lendemain. Malgré mon très faible volume de sommeil qui s’établit à 2 h 15 depuis le début de la course, je décide de ne pas prendre quelques minutes de sommeil confortables, en me disant que si j’ai besoin, je dormirai vingt minutes dans un arrêt de bus ou tout autre abri qui se présentera.
Le 300 au mental !
Je repars vers 21 h 00 le ventre plein, le vélo chargé de victuailles et équipé pour la pluie. J’ai deux objectifs 1° finir -2° faire mentir Racemap ! Ma stratégie est la suivante : tenir les six heures aux 100 km ce qui signifie que dès que je le peux, je dois élever ma vitesse entre 23 et 25 km/h pour compenser les montées. Pour ce faire, je décide d’oublier la douleur, de toute façon au bout des sept-cents kilomètres en deux jours, j’ai mal partout genoux, chevilles, mollets, hanches…!
La boucle de trois-cents est assez simple : nous tournons un peu en forêt autour d’Ermenonville et de Chantilly, pour ensuite piquer au Sud direction Paris et remonter vers le Vexin via Versailles. Pour le Vexin, nous reprendrons une partie des cinq-cents premiers kilomètres, mais en sens inverse.
Dès le départ, j’élève le rythme et tiens entre 23 et 25 km/h, mais les boucles sur les routes forestières m’oblige un peu à ralentir. Mais dès que nous retrouvons les départementales, j’accélère. Les feux rouges des concurrents qui me précèdent me servent de « Pancarte ». Ce sont essentiellement des concurrents du parcours de 500 kilomètres. Certains essayent de prendre ma roue, mais lâchent dès qu’ils voient que je suis sur le 1000. Ils veulent certainement jouer le classement sur le 500, sans y laisser en même temps des forces à me suivre alors que nous ne sommes pas sur la même distance.
Je laisse derrière moi la forêt de Montmorency et poursuis en direction d’Enghien-les-Bains. Premier arrêt à Épinay-sur-Seine pour m’équiper la fraîcheur tombe et je commence à avoir froid.
Il est environ 2 h 19 lorsque j’entre dans Paris. Avec 101 km parcourus depuis Chantilly, je suis en avance sur mon plan de 100 km à 3 h 00 du matin. C’est de bonne augure !
La traversée de Paris et de ces grands boulevards n’est ni plaisante, ni déplaisante ! Les routes sont pleines de pièges et mal entretenues. Il y a un feu rouge tous les 50 mètres. Par contre, l’ascension de Montmartre est sublime par les petites rues pavées et étroites : Lepic, Sainte-Rustique, du Chevalier de la Barre. Raides, exigeantes et certainement dangereuses le jour, mais sublime la nuit ! Lorsque j’arrive au sommet, le Sacré-cœur est un peu tristounet dans la pénombre. Seul son clocheton est éclairé, dommage, mais c’est aussi cela la sobriété ! Heureusement, le photographe officiel a pris de beaux clichés !
En quittant Montmartre, j’en profite pour me ravitailler. Je longe maintenant le boulevard Magenta en laissant celui de Barbès derrière moi. Place de la République, je vire à droite pour foncer vers le Louvre. Je reste surpris par la vie nocturne dans Paris. À un peu plus de trois heures du matin, des terrasses de bars fermés restent pleines de noctambules, plus ou moins bruyants, qui n’ont pas encore décidé de rentrer. Partout des taxis, des livreurs en scooters transportent vers leurs destinations personnes et denrées… Partout, des piétons et cyclistes en nombre en ce milieu de nuit. Dire que Paris vit vingt-quatre heures sur vingt-quatre semble assez proche de la réalité !
Je franchis le Pont Neuf, puis reviens par le Pont du Carrousel et longe ensuite le Jardin des Tuilerie. Par bonheur, le Carrousel du Louvre est désert. Point de bus de touristes à l’arrêt, pas de bouchon comme lors de mon passage l’année dernière en pleine journée. Je franchis de nouveau la Seine. J’ai l’impression de jouer à saute-mouton avec elle.
Je laisse les Invalides et le Champ-de-Mars sur ma gauche et franchit de nouveau la Seine par le Pont d’Iéna et m’engage sur la Voie Georges Pompidou. Je ne peux rester indifférent à la vue que me donne la Tour Eiffel qui se reflète dans la Seine.
Au niveau de la Porte de Saint-Cloud, je quitte Paris en virant à droite et me dirige maintenant en direction de Versailles via Boulogne-Billancourt, Sèvre et Chaville. Rue Guillominot à Chaville une surprise nous attend « un Mur » de quelques centaines de mètres et des pourcentage qui s’envolent. Je décide dans le plus fort de la pente de mettre pieds à terre. Le cumul kilométrique et surtout les douleurs m’empêchent d’être aérien comme la grande partie des concurrents du 300 et 500 kilomètres. Mais je ne suis pas le seul tellement, la pente est impressionnante !
Nous arrivons à Versailles par Viroflay. Le long serpent de feux rouges s’est recréé. Chacun avance la plus vite possible, souvent sur les prolongateurs. Les boulevards s’enchaînent. Sans y prendre garde me voici déjà sur la commune de Saint-Cyr-l’École. Nous sommes passés devant le Château de Versailles, mais concentré sur ma moyenne, je ne l’ai même pas vu. J’ai même, pendant quelques minutes, l’impression de mettre peut-être trompé, et contrôle mon GPS. Pas de souci, j’ai bien suivi la trace !
Vers 5 h 00, nous entrons dans la forêt de Marly-le-Roi. La pénombre de la forêt est le moment propice que choisi un démon pour venir m’assaillir. Au début, il prend une forme sombre sur le côté qui se précise : un cycliste ou plutôt un demi-cycliste qui disparaît dès lors que je tourne la tête pour l’éclairer de ma frontale et qui réapparaît dès que je regarde devant moi. Passant par toutes les nuances de brun, je ne perçoit que sa roue avant, son cintre son tronc et sa tête. Il roule en permanence à mes côtés, passe à travers les barrières forestières. Mes premières hallucinations visuelles ! Une troisième nuit de roulage avec un cumul de seulement deux heures quinze de sommeil depuis le départ, à quoi, pouvais-je m’attendre ? Peut-être par chance, ma lucidité ne s’est pas encore éteinte, même si par moment, je me surprends à penser que je dois faire attention de ne pas le faire tomber. Il faut vraiment que je trouve un endroit pour dormir !
Le parcours nous fait éviter Feucherolles. À hauteur de Sainte-Gemme, je trouve un espace de présentation de la faune locale doté de deux murets formant un abri sommaire. Malheureusement, il est en plein vent et laisse présager de mauvaises conditions de sommeil. Je poursuis en direction des Alluets-le-Roi. Les bas-côtés sont pleins de déchets de débardage. Point d’abri, je dois poursuivre. J’arrive enfin sur la commune des Alluets-le-Roi. À l’entrée de la commune, il y a bien un abri bus, mais sans banc et plein de détritus. Je poursuis et tombe enfin sur un abri bus récent avec un petit banc. L’abri est spartiate, mais j’ai connu pire. Et lorsque la fatigue est là, on peut dormir partout pour peu que l’on soit équiper contre le froid. Au moins, la chambre est libre et à l’abri du vent ! Je m’équipe pour une courte nuit : doudoune, casquette, écran pour les yeux, oreiller et mon sac de couchage « sol escape ». Je m’installe en mode marmotte. La capuche de mon sac de couchage rabattue sur mon visage, la tête calée à l’extrémité du petit banc sur mon oreiller. Les jambes pliées et les pieds en appui sur l’autre extrémité du banc. Je tombe rapidement dans les bras de Morphée ! Je devais dormir vingt minutes, j’en ai dormi quarante. Je n’ai même pas entendu l’alarme du téléphone. Je suis réveillé par la fraîcheur de la pluie et le brouhaha des concurrents qui se restaurent ou font la queue à la boulangerie toute proche. Ah, il y a un service petit-déjeuner en chambre !
Je sors de la chaleur de mon sac de couchage et suis saisi par la fraîcheur du jour qui se lève et de la pluie. Lorsque j’arrive dans la boulangerie, en franchissant la rue, cette dernière a déjà été grandement dévalisée par une meute affamée de concurrents. Le boulanger ne sait plus où donner de la tête, entre confection à la demande des sandwichs jambon/emmental, servir les cafés, emballer les quelques viennoiseries restantes. Pour ma part, je prends le dernier croissant et pain au chocolat aux amandes accompagnés d’un petit noir. Ce petit-déjeuner est sommaire, mais je m’en contenterais !
J’ai déjà parcouru 857 km sur le millier prévu. Je suis dans les temps de mon plan malgré cet arrêt sommeil. Il est un peu plus de 8 h 00 lorsque je repars sous une pluie battante.
À Aulnay-sur-Mauldre, je tricote un peu. La trace m’amène sur un chemin destiné au VTT, mais pas à un vélo de route chargé. Je fais demi-tour et reprends la route où je retrouve la trace après deux-cents mètres.
Passé Gargenville, j’entre dans le Vexin. À partir de maintenant, je vais être toujours en prise jusqu’à quelques kilomètres de l’arrivée.
À Théméricourt, je viens en aide à un concurrent du 300 ou 500 kilomètres qui a cassé sa chaîne. Je lui offre une attache rapide pour qu’il puisse repartir. Ce n’est certes pas conforme au règlement de l’épreuve, mais je ne pouvais pas le laisser en pleine Pampa sous la pluie.
Petit à petit, la pluie se calme pour cesser totalement. Je profite un peu. Mais vers Magny-en-Vexin la fatigue revient à l’assaut de mon mentale. Par bonheur, certains concurrents du 300 sont bavards et n’hésitent pas à rester à mes côtés quelques minutes. Cela m’empêche de trop penser à mon besoin de sommeil.
Les trois dernières heures sont difficiles, harassantes. Dans chaque montée, le besoin de sommeil se fait encore plus fort. Je dois lutter mètres par mètres en évitant de me laisser aller à fermer les yeux, car ce serait l’endormissement et le risque de chute. Des hallucinations auditives apparaissent. Par moments, j’entends un duo qui discute en s’approchant, sauf que lorsque je me retourne, il y a personne ! Les hallucinations auditives peuvent précéder les hallucinations visuelles. Même si la nuit dernière, je n’ai pas eu d’hallucination auditive et que je suis directement passé par les hallucinations visuelles.
J’aurais pu essayer de dormir. Mais avec les pluies denses du matin, tous les chemins sont détrempés. Un arrêt de bus, un banc, même pas la peine en plein jour, car à n’en pas douter, j’aurais été en permanence dérangé par des personnes pensant que je faisais un malaise.
Je profite des arrêts pour réaliser des micros siestes debout, le vélo entre les jambes et la tête posée sur les prolongateurs. Vers Marines, j’essaye de trouver une brasserie pour dévorer une omelette et faire le plein de glucides et de protéines ou quelque chose du genre, mais tous les commerces sont fermées. Je dois me résoudre à poursuivre avec mes « Tuc », mes graines et mes bonbons au coca, ayant épuisé mes gaufres liégeoises et mes bananes.
Il est 15 h 16 lorsque j’atteins Bornel. Le profil s’aplatit. La fatigue n’en est pas moindre, mais au moins, j’en ai fini avec les enchaînements de montées. À plusieurs reprises, je suis contraint de stopper pour dormir quelques secondes et repartir. Le temps me paraît long, extrêmement long, d’autant que la circulation est soutenue ce qui rend ma progression difficile.
Il est environ 16 h 32, lorsque je franchis la ligne d’arrivée, submergé par les émotions et la fatigue.
Le Bilan
Je termine cette belle épreuve de 1003.76 km en 66 h 21 de temps total et 51 h 09 de déplacement. J’ai franchi 9 025 mètres de dénivelée positive et consommé 22.979 calories.
Sur les 66 h 21 d’épreuve, je n’ai dormi que 2 h 45. Ce n’était pas l’objectif ! Au contraire, j’avais prévu au moins un bloc de 3 heures de sommeil la deuxième nuit, puis un second bloc avant de m’élancer pour la dernière boucle. Cependant, la chute à l’issue des cinq-cents premiers kilomètres a mis à mal ma stratégie de sommeil et ma stratégie générale. J’ai été loin, trop loin, malgré moi dans la privation de sommeil. Par bonheur j’avais réalisé un « Sleep Banking »(*) qui m’a permis de tenir sans difficulté les premières vingt-quatre heures sans dormir. Pour la deuxième nuit, les douleurs ont été plus fortes que le besoins de sommeil et m’ont réveillé au bout de 2 h 15. Ensuite, tout dépend de sa propre vitesse moyenne, mais clore la dernière boucle de trois-cents kilomètres nécessite de rouler toute ou partie de la troisième nuit, excepté pour l’Elite qui arrive à clore les mille kilomètres en moins de quarante heures. Si l’on compare avec la Race Across France où l’on a tout le loisir de découper son plan de marche comme bon, nous semble. Il est alors plus aisé de veiller à ne jamais arriver dans cette zone dangereuse que sont les hallucinations. Pour moi, les hallucinations ne sont pas et ne seront jamais un Graal. Au contraire, nous évoluons sur routes ouvertes. Nous devons donc conserver toute notre lucidité et toute notre capacité à réagir au moindre incident, à la moindre situation. Or, lorsque nous entrons dans la zone des hallucinations notre potentiel est entamé. Sur cette épreuve, j’étais l’un des cobayes pour tester la mise en œuvre de la nouvelle règle de quatre heures de repos par tranche de trente-six heures. J’ai beaucoup échangé avec Rémy Hurdiel chercheur sur le sommeil et inscrit sur le 300 kilomètres. J’attend avec impatience le bilan de ce premier test. En fait, sur un format aussi serrer et avec une chute en prime, on peut rapidement se trouver hors des standards de sommeil optimal pour essayer de terminer dans les temps. Aurais-je pu gérer autrement ? Rétrospectivement, je le pense ! Une chute, une info qui semble erronée d’un logiciel de suivi live, des délais annoncés comme serrer agissent tels des grains de sable dans les rouages d’une stratégie. Avec la fatigue et les informations qui me parvenaient, j’ai manqué de recul et de discernement. J’aurais dû me poser, prendre le recul nécessaire et faire le choix judicieux de dormir confortablement avant de repartir pour la dernière boucle de trois-cents kilomètres. On apprend toujours de ses erreurs.
Pour ma stratégie générale, j’avais prévu de travailler sur l’optimisation de mes arrêts toujours trop nombreux. Cette stratégie a fonctionné sur la boucle de cinq-cents kilomètres. Où pendant très longtemps, j’étais en avance sur mon plan de marche. Ensuite, avec ma chute, ma moyenne a chuté. J’ai été contraint de gérer les douleurs, le dysfonctionnement de mon dérailleur avant suite à ma chute. Mais aussi de réparer une crevaison, ce qui m’a demandé le double de temps. Cependant, le déroulé de la boucle de 500 est très positif. Il va me servir de base pour la Race Across France.
Mentalement, je n’ai jamais été aussi loin pour lutter contre les douleurs de la chute, pour lutter contre la fatigue, mais aussi contre les conditions météorologiques et notamment le froid qui nous est tombé dessus alors que nos tenues étaient rendues humides par les averses éparses qui nous ont surpris sur la fin de la première boucle. Je n’ai jamais eu l’intention d’abandonner, même si je me suis interrogé sur ma capacité physique à pouvoir repartir pour 500 km alors que j’avais beaucoup de difficulté à marcher. De même, je ne me suis jamais interrogé sur ce que je faisais là, même pendant les trois dernières heures de l’épreuve où la fatigue est revenue en force.
Au final, je me classe 18e et 1er de ma catégorie d’âge. Mais là n’est pas l’essentiel. La vraie victoire, c’est de finir, de franchir la ligne d’arrivée. Je dois maintenant me concentrer sur la Race Across France 2500…
(*) il est possible d’anticiper le manque de sommeil en faisant du « sleep-banking », ou stockage de sommeil, avant une période de privation. Une telle précaution permet de protéger l’organisme contre les effets négatif de la privation de sommeil, notamment au niveau hormonal.
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