« C’est quand on rêve que l’on conçoit des choses extraordinaires, c’est quand on croit que l’on crée vraiment, et c’est alors seulement que votre âme franchit les barrières du possible. Walter Bonatti « Montagnes d’une vie ».

Je prends toujours beaucoup de plaisir à ébaucher une trace. Quels que soient mes objectifs, construire mon parcours est le début du rêve. En le faisant, je deviens un acteur à part entière de ma future aventure. J’ai la possibilité de choisir entre l’orthodromie ou les chemins des écoliers, entre vitesse et découverte, entre raids sportifs ou aventures culturelles ou historiques… Enfanter ma trace, c’est déjà me plonger dans les paysages, dans des lieux chargés d’histoire, de culture. C’est me projeter vers les rencontres que je vais faire au gré de mes arrêts. De ce point de vue, les diagonales de France m’apportent une entière satisfaction.

La « diagonale du vide » est une réalité et elle n’a de cesse de s’élargir. Les commerces alimentaires désertent nos campagnes. Trouver une âme qui vive en pleine journée est parfois tout aussi compliqué. Je ne compte plus les fois où j’ai dû rebrousser chemin ou me dérouter pour trouver un peu d’eau et du ravitaillement. Je ne compte plus les fois, où je me suis cassé le nez sur un commerce qui a mis définitivement la clef sous la porte, alors qu’il apparaît en activité sur Google Maps ou dans Internet. Je ne compte plus les fois où je suis arrivé trop tôt ou trop tard, pour accéder à l’unique commerce à des kilomètres à la ronde. Il y a encore peu, on pouvait compter sur les robinets des cimetières pour se ravitailler en eau. Mais avec le réchauffement climatique et son lot de sécheresses et de canicules, l’eau potable est devenue un bien précieux qu’il faut protéger. Les robinets publics comme les fontaines sont les premiers points d’eau à être fermés. Dans certains cimetières, les robinets ont même été remplacés définitivement par des récupérateurs d’eau de pluie impropre à la consommation. Certains départements, ont même pris la décision de fermer définitivement tous les points d’eau publics. Le plaisir de rouler peut alors se transformer en un véritable parcours de la soif. Parfois même, en calvaire lorsqu’aux heures les plus chaudes la déshydratation s’installe et que les crampes musculaires surviennent. Avec l’expérience, j’ai appris à recenser stratégiquement les points d’eau situés sur certaines portions de parcours en essayant de prendre en compte les cimetières, les toilettes publiques et quelques fontaines.

Avec les diagonales de France, la question des données et de leur exploitation s’est posée d’une autre manière tout aussi cruciale. En effet, comment remplir notre feuille de route ? Est-elle un simple catalogue des sites de pointage où nous faisons apparaître uniquement les localités de départ, de pointage et d’arrivée ? Ou bien est-ce plutôt un roadbook censé nous aider dans le guidage en cas de panne de notre compteur GPS ? Le règlement nous laisse toute liberté. Pour ma part, j’ai choisi, puisque la constitution de la feuille de route est obligatoire, autant qu’elle serve à quelque chose. Mes feuilles de route sont donc des roadbooks ! Aussi, je me suis longuement interrogé sur la manière de lister toutes les communes traversées et la quasi-totalité des voies empruntées sans y passer des mois ? Je devais donc disposer des données d’emprise et le nom de chaque commune traversée, ainsi que des noms ou numéro des voies empruntées. Pour le pointage, je devais aussi disposer de la localisation de toutes les structures susceptibles d’apposer un tampon humide sur le carnet de route ainsi que leurs coordonnées géographiques.

De fait, mon catalogue de données est en perpétuelle évolution. Il s’étoffe au gré de mes expériences ou de mes besoins, mais aussi de mes découvertes.

1 – Où trouver les données ?

Il est essentiel d’évoquer la directive européenne Inspire. Cette directive a été transposée en droit français. Elle impose aux Etats Européens de partager gratuitement leurs données publiques à jour et dans un format qui permet de les combiner avec d’autres données afin qu’il soit aisé de les rechercher et de les utiliser. En clair, un très grand nombre de données est disponible gratuitement, dans un format facilement exploitable et sans se soucier de la mise à jour qui est à la charge du propriétaire de la donnée. Pour certaines données, il existe même des liens dynamiques avec les serveurs des propriétaires des données. Cela présente l’avantage d’avoir une donnée toujours à jours et sans avoir besoin de télécharger et stocker les données sur son poste de travail. C’est une des raisons pour lesquelles je me suis toujours refusé de payer pour accéder à des données gratuites, tels les fonds de cartes IGN, les données du Géoportail, les données OpenStreetMap…

Mon catalogue de données évolue en permanence, au gré de mes besoins ou de mes envies d’escapades ou de défi. Voici la liste des données que j’utilise le plus souvent et que je combine dans mes différents projets de longue distance :

Les données linéaires sur les EuroVélos, les voies vertes, les pistes cyclables. Elles sont mises en ligne par les différents organismes publics telles les intercommunalités, les départements, les régions ou encore France vélo tourisme. Elles sont bien plus précises que celles que nous pouvons trouver dans certaines applications pour cyclistes.

Les données ponctuelles d’OpenStreetMap : commerces épiceries, boulangeries, marchands et réparateurs de cycles, fontaines, cimetières, restaurants, hôtels, pharmacies… J’attire l’attention sur la pertinence des données fontaines/points d’eau figurant sur OpenStreetMap, car certains contributeurs ont en effet recensé les poteaux d’incendie, expérience vécue à plusieurs reprises. Ces poteaux d’incendie ne pourront guère servir pour remplir un bidon. Il est également possible de rajouter des champs dans la table attributaire pour préciser par exemple une situation précise.

Les données fontaines issues des organismes publics (communes, agglomérations…). Ces données sont bien plus précises que les données OSM, cependant elles ne concernent que des agglomérations importantes.

Les données administratives surfaciques sur les régions, départements et communes. Il s’agit notamment de leur emprise géographique ainsi que leurs noms. Ce sont ces données qui me permettent d’élaborer notamment ma feuille de route.

Les cols routiers du club des cent cols. Les jeux de données comprennent les cols d’Europe (données cent cols) et une base de données que j’ai créé pour mes cols gravis. Chaque itinéraire peut ainsi devenir aussi une chasse aux cols ! Ces données sont accessibles uniquement aux membres du club.

Les données du Géoportail (BDTopo : voirie, sens de circulation, bâtiments), Orthophotographie à 50 cm et 20 cm…

Les données d’altitude et de pentes.

La base nationale adresse (utile pour trouver l’adresse d’un commerce, d’un gîte, d’un Airbnb, d’un refuge et gîte d’étape…).

Des données sur les voies SNCF et les gares utiles lorsque l’on souhaite rejoindre une gare depuis notre parcours suite à une casse matérielle, ou une blessure nécessitant en retour en train.

Le fond de carte OpenStreetMap.

Voici les sites où nous pouvons les trouver :

2 – Mes outils d’exploitation des données

Disposer des données ne nous sert pas à grand chose, si nous ne disposons pas des outils pour les exploiter. Malheureusement, tous les outils tels Garmin Connect, OpenRunner, Kommot, Strava et consort, mis à notre disposition pour tracer nos parcours, qu’ils soient dans la version payante ou non, ne nous permettent pas d’intégrer et d’exploiter des données autres que celles disponibles dans chacun d’elles. Elles peuvent parfois en afficher nativement telles les POI d’OpenStreetMap, les données cols des cent cols dans OpenRunner. Cependant, il est impossible d’exploiter les attributs de leur table de données, ni même de les compléter par d’autres données. Ces solutions ne conviennent donc pas si l’on souhaite élargir son catalogue de données.

Je me suis donc interroger sur les outils pouvant me permettre d’exploiter les données géolocalisées (avec leurs coordonnées géographiques en X, Y et parfois Z) qui me sont nécessaires. Rapidement, j’en ai identifié deux : Google Earth et QGIS. Pour Google Earth, il s’agit d’une application gratuite, grand public disponible sur Internet ou en téléchargement. Pour les données, il est impératif de les convertir « .kml »ou « .gpx ». Cependant, il n’y a pas d’outils pour pouvoir intégrer les fond raster de l’IGN ou vecteur de la BDTopo. Pour QGIS, il s’agit d’un système d’information Géographique (SIG) en Open Source donc gratuit. Un SIG permet d’intégrer des données géoréférencées en X et Y, voir Z et de les représenter sur un fond de carte avec une symbolique que l’on peut définir soit même. Il nous permet également de mettre en œuvre des outils d’analyse assez puissants et intéressants. Avec QGIS, nous pouvons par exemple lister les communes interceptées par chacun de nos parcours et les exporter au format Excel pour ensuite les intégrer dans notre feuille de route réduisant de longs mois de travail à quelques minutes de manipulation. Ce qui est, par exemple, impossible avec les applications Garmin Connect, OpenRunner, Kommot, Strava et consort, ni même avec Google Earth.

QGIS : mon projet de diagonale avec l’outil d’analyse de l’intersection des communes par les parcours et l’extraction des communes traversées.

Aussi, m’orienté vers QGIS est devenu une évidence, car il est le plus complet. Voici le lien pour le télécharger l’application QGIS : https://qgis.org/download/

Si vous souhaitez vous lancer avec QGIS, voici un site qui est bien fait pour débuter https://www.vallamir-co.fr/qgis/donnees.html . Vous y apprendrez à installer QGIS, à intégrer des données et à les exploiter.


Maintenant que vous savez tout des données et des outils que j’utilise, voici une explication par l’exemple de ma méthode pour tracer un parcours sur la diagonale Hendaye – Dunkerque.

Les diagonales de France étant des aventures à réaliser dans un temps limité, il vaut mieux rester le plus proche possible de l’orthodromie. Aussi, je commence toujours par tracer une ligne droite à vol d’oiseau entre le commissariat de départ et celui d’arrivée. Cette droite me servira de guide pour tracer mon parcours. Pour cette diagonale une partie de l’orthodromie sur les cent-vingt premiers kilomètres se trouve en l’océan. Ce n’est pas bloquant, cela signifie juste que je vais devoir rester le plus proche possible de la côte.

Ensuite, j’utilise l’outils road2qgis pour tracer l’iso distance à 120 km qui va me servir à identifier le premier point de pointage de mon carnet de route. Pour ce faire, je saisis en point de départ le commissariat de police qui est censé tamponner mon carnet de route et attester de mon heure de départ. L’iso distance se dessine alors en suivant les routes.

QGIS : L’iso distance (en rose) s’affiche à l’écran.

En affichant les commerces, je suis capable d’identifier les communes proches de la limite de l’iso distance et susceptibles de m’accueillir pour réaliser le pointage de mon carnet de route. Elles doivent de préférence être situées le plus proche possible de l’orthodromie. Sur cette partie du parcours d’Hendaye – Dunkerque, la commune choisie devra donc être assez proche de la côte. Dans le cas présent, en observant l’iso distance je peux m’arrêter soit à Bias, soit à Mézos. Les deux communes comportent des commerces, et toutes deux chevauchent la limite de l’iso distance cent-vingt kilomètres. Cependant, en observant les options en aval de ces deux communes, Bias m’amène à contourner ensuite deux grands lacs et donc à rallonger mon parcours et à traverser l’agglomération de Mimizan alors que Mézos est en route directe vers le bac fluvial qui doit me permettre de traverser la Gironde en évitant Bordeaux. Je choisis donc Mézos comme ville de 1er pointage. Ce qui me permet de réaliser mon premier tracé de parcours en saisissant les coordonnées du point de départ et du point d’arrivée. Si le tracer ne me convient pas, ou si je souhaite passer par un point d’intérêt touristique, je peux rajouter un point d’étape en cliquant sur le bouton + au bout de la ligne de saisie du point d’arrivée. Il me reste alors à saisir les coordonnées du point que je souhaite visiter pour que le tracer se modifie. Qgis nous permet de rajouter plusieurs étapes selon nos envies.

Lorsque j’ai fini, je renouvelle l’opération pour le pointage suivant à deux-cent-quarante kilomètres et ainsi de suite. Je peux aussi m’arrêter avant, suivant la longueur que je souhaite donner à mes étapes quotidiennes. Pour ma part, les étapes journalières moyennes oscillent autour de trois-cent dix kilomètres et des plus longues autour de trois-cent cinquante kilomètres.

Pour saisir mes traces, je peux choisir soit de travailler par étape. C’est la solution que je retiens généralement sur une diagonale. À la fin, je dispose d’un ensemble de traces en plusieurs fichiers, mais que je peux fusionner en un seul fichiers. Pour ce faire, j’utilise l’outil Basecamp de Garmin, dans lequel j’importe mes fichiers et que je fusionne.

Il est également possible de saisir une seule trace, pour se faire les points de départ et d’arrivé seront les coordonnées géographiques des commissariats de départ et d’arrivée. Ils seront saisis dès le début de la réalisation du tracer. Ensuite, pour chaque iso distance 120, 240, 360 km, etc. Les coordonnées des communes où sera tamponné le carnet de route deviendront des étapes.

De prime abord, cela peut paraître fastidieux, mais il n’en est rien. Surtout, dans la mesure où je peux afficher les commerces, les sens de circulation, l’orthodromie, des points de vue… Je peux adapter très facilement ma trace à mes envies et au lieu de pointage sans avoir à retoucher pas la suite le parcours pour le faire passer devant les commerces pouvant permettre le pointage du carnet de route. Su l’exemple ci-dessous, sur Mézos, le tracer direct me faisait rester sur la départementale. Mais pour obtenir le coup de tampon humide, il me faut entrer dans le village pour rejoindre les commerces, tout en tenant compte des sens de circulation. Ce que je peux faire assez facilement en choisissant un point d’étape de 120 km, juste devant le magasin représenté ici par un caddie.

Voici ce que cela donne pour la diagonale complète. Chaque iso distance est représentée par une couleur différente avec en superposition la trace définitive.